La presse s’en est largement fait l’écho : la semaine dernière fut une semaine noire pour l’emploi en France. En réalité, les différentes annonces et leur ampleur constituent surtout le révélateur de la profondeur de la crise, à un niveau que, ni le gouvernement, ni les commentateurs n’avaient vraisemblablement anticipé. Les annonces de plans de licenciements, de chômage partiel se sont succédé à un rythme effréné, l’automobile demeurant, pour le moment, avec l’immobilier, le principal secteur sinistré. Les chiffres du chômage officiel sont venus noircir encore le tableau, avec le franchissement symbolique de la barre des 2 millions de demandeurs d’emplois, très largement sous estimée, on le sait. L’offensive est donc lancée : pour celles et ceux qui en doutaient, les choses sont claires, c’est aux salariés qu’on veut faire payer la crise.
Dans ce contexte, les discours sur la relance viennent à point nommé pour tenter de redonner une légitimité aux dirigeants affaiblis par la tourmente. Mais il ne s’agit, pour l’essentiel, que d’un habillage : la logique reste le renflouement du système financier. C’est ce à quoi s’emploient les autorités américaines, jour après jour. C’est donc une curieuse conception de la relance, dans le droit fil des plans de sauvetage qui l’ont précédée. Dans sa mise en œuvre, il n’est que marginalement question de relancer la consommation, l’essentiel étant de soutenir directement l’activité des entreprises par des mesures dont l’objectif avoué est l’efficacité immédiate. En cela, c’est une politique à courte vue, censée rassurer les boursiers, qui ne peut en rien résoudre la crise, puisqu’elle renforce encore, au détriment des salariés, le déséquilibre entre capital et travail qui est à l’origine de la crise.
L’Union européenne a lancé son propre plan, dont les mesures phares ont été annoncées la semaine dernière. Outre qu’il est animé par la même logique, il souffre de faiblesses, y compris du point de vue des capitalistes. 200 milliards d’euros, 1,5 % du PIB européen, voilà pour l’affichage. Mais, en réalité, il s’agit de l’addition des « plans de relance » déjà adoptés par les différents États, ou sur le point de l’être. Cela signifie d’abord que le financement reposera, en très grande partie, sur les États eux-mêmes, puisque seuls 5 milliards d’euros seront pris sur le budget de l’Union européenne. Mais cela signifie surtout qu’en fait de politique cohérente et unifiée, nous n’avons que des propositions de politiques concertées qui tiennent lieu d’habillage.
L’augmentation temporaire des allocations chômage, l’accroissement des transferts sociaux, l’abaissement de la taxation sur les bas revenus, la diminution de la TVA : autant de déclarations de principes pour épater la galerie. Dans les faits, les États mènent des politiques différentes, conformes aux divergences d’intérêts qui les opposent et aux enjeux de politique intérieure qui leur sont propres. La France et l’Allemagne ont clairement indiqué qu’il n’y aurait pas de baisse de la TVA, puisque la consommation, comme chacun sait, « ne va pas si mal que ça », tandis que Gordon Brown, en Grande-Bretagne, annonce une baisse de 2,5 points pour encourager la demande. Au final, le seul aspect tangible des annonces de Bruxelles, c’est la possibilité de mettre entre parenthèses les contraintes du Pacte de stabilité pendant deux ans.
Les économistes autorisés expliquent à quel point il faut des mesures temporaires, qui n’engagent surtout pas une logique de long terme, notamment une politique de grands travaux, comme si la reprise de la croissance pouvait être l’effet d’un miracle. Mais les effets de posture idéologique rencontrent ici les limites des politiques des États eux-mêmes : quel État a aujourd’hui les moyens d’investir des richesses réelles dans l’économie réelle ? Il faudrait, pour cela, adopter une politique anticapitaliste, contrôler et taxer les mouvements de capitaux, nationaliser le système de crédit, interdire les licenciements…
Aujourd’hui, nul ne peut dire quelle sera l’ampleur des bouleversements politiques produits par la crise. Jacques Attali, ancien conseiller de Mitterrand, se fait prophète à ses heures. Le 25 novembre, il confie à l’Express une vision fort sombre de l’avenir, constatant d’ailleurs en creux la faillite du système qu’il défend. Cependant, outre que le principal danger de l’heure semble être, dans une curieuse interprétation de l’histoire, la remise en place de « caricatures de socialisme, c’est-à-dire des États totalitaires empruntant à la social-démocratie ses idées économiques », c’est l’indigence des mesures qu’il propose qui laisse pantois. Il s’agit de mettre sur pied un programme commun des partis socialistes pour les européennes, avec en ligne de mire un fonds souverain européen capable de régler la crise dans le cadre du système…
Plus que jamais, à la crise du capitalisme et aux mesures prises par les bourgeoisies pour sauver le système, c’est une autre logique qu’il faut opposer et imposer, un plan de sauvetage des salariés, par les salariés, sous leur contrôle et qui réponde à leurs besoins.