Il n’existe pas à l’heure actuelle de recensement exhaustif de l’ampleur de la répression qui s’abat sur le mouvement contre la loi travail et son monde. Il permettrait pourtant de révéler une réalité qui touche l’ensemble des grèves, manifestations, blocages et actions.
C’est un enjeu majeur pour l’ensemble du mouvement : le pouvoir est en train d’essayer d’empêcher, par tous les moyens nécessaires, l’amplification et la combativité de la contestation populaire.Répression tous azimutsLors du débat à l’Assemblée nationale sur la prolongation de l’état d’urgence, Bernard Cazeneuve a voulu convaincre l’hémicycle de « sa plus grande fermeté » pour réprimer le mouvement actuel. Il a fait état de chiffres – 1 400 arrestations, 885 gardes à vue, 61 condamnations en comparution immédiate – et incité les parlementaires à exercer leur contrôle en récupérant « les télégrammes adressés aux préfets, les ordres d’opération donnés par les préfets aux forces de l’ordre sur la base des consignes qui leur sont adressées » pour preuve de sa ligne politique.
Un premier constat s’impose donc : si le gouvernement a dû faire passer en force le projet de loi El Khomri, la division est bien moins forte au Parlement sur l’utilisation des moyens de répression puisque jusque-là aucun parlementaire n’avait jugé utile de connaître ces consignes. D’ailleurs, ce débat a tourné à la surenchère répressive, au point que lorsque la conformité avec les règles de droit sont évoquées, pour signifier que la justice défait parfois ce que le ministère de l’Intérieur fait, un député de droite s’autorise à répliquer : « Commencez par agir, vous vous interrogerez sur la conformité ensuite ! »
Les chiffres donnés par Cazeneuve masquent une réalité plus grave encore : combien de blesséEs dans nos manifestations à cause des gazages et matraquages systématiques, des tirs de flash-ball et grenades de désencerclement ? Combien d’humiliations et menaces dans les commissariats ? Combien de sanctions disciplinaires ? Combien de contrôles judiciaires ou de peines de prison fermes ? Combien de chefs d’inculpation de plus en plus ahurissants (association de malfaiteur, tentative d’homicide), au mépris de toute analyse objective des faits ?
La politique du plus grand nombre
Puisque le mouvement ne s’essouffle pas, que les manifestations se poursuivent et les grèves se développent, puisque « la minorité agissante » a le soutien de la majorité de la population, que les « casseurs », les « preneurs d’otages » et les « terroristes » qui composent notre mouvement ont acquis plus de légitimité que le pouvoir ne peut s’en prévaloir, touTEs les manifestantEs deviennent une cible potentielle, et les moyens répressifs s’intensifient. Le signal est donné : la répression peut s’exercer, sans limite.
Nous assistons donc depuis quelques temps à un déchaînement policier insupportable, qui plus est souvent complètement arbitraire. Le jeudi 26 mai à Paris, une grenade de désencerclement est balancée par un policier au mépris de toutes les conséquences. Ce n’est pas la première fois, mais ce jour-là, Romain Dussaux, un jeune de 28 ans qui filmait la manifestation, devra être mis en coma artificiel suite à la gravité de sa blessure à la tête. Le jeudi 2 juin à Saint-Malo, le rectorat envoie la police devant un établissement scolaire en guise de réponse à un rassemblement de parents, d’enseignantEs et de collégiens protestant contre sa fermeture : 11 enfants, de 11 à 14 ans, sont blessés, dont 3 devront être emmenés à l’hôpital. Le même jour à Rennes, des policiers à bord de leurs véhicules foncent sur une foule de manifestantEs.
Même les journalistes sont menacés quand ils filment ou photographient les agissements de la police, au point que Reporters sans frontières a récemment dénoncé les violences policières qui se multiplient à leur encontre. Aucune condamnation, aucune réserve ne sera prononcée par un pouvoir qui entend garder le contrôle de la situation. Les syndicats de policiers sont confortés dans leur soutien systématique à leurs collègues.
Faire front
Si la répression s’intensifie, c’est d’abord et avant tout parce que le mouvement est fort de sa légitimité et de sa combativité, qui repose entre autres choses sur la conviction à développer sans cesse qu’il ne faut pas trier entre « bons » et « mauvais » manifestantEs, quels que soient nos modes d’actions respectifs.Cette solidarité face à la répression se développe de plusieurs façons : faire front dans les cortèges, empêcher les arrestations, informer les manifestantEs sur le système répressif, organiser des rassemblements devant les commissariats et les tribunaux, ouvrir des caisses de solidarité. La répression traumatise les esprits, marque les chairs, emprisonne les femmes et les hommes, atomise les individus. Tout ce à quoi le combat commun contre la loi travail et son monde entend mettre un terme, nous devons le prendre en charge collectivement.
Vanina Giudicelli