Les états généraux de la bioéthique, organisés cette année à Paris1, ont relancé le débat sur la légalisation de la « gestation pour autrui ».
Controverse
La question des mères porteuses divise. La secrétaire d’État à la famille, Nadine Morano, la sénatrice socialiste Michèle André ou Elisabeth Badinter sont en faveur de la légalisation. Le Conseil d’État y est hostile, tout comme la ministre de la santé Roselyne Bachelot ou la philosophe socialiste Sylviane Agacinski. La Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac), le Planning familial et l’Ancic (Association nationale des centres d’IVG et de contraception) s'y opposent également2.
Les partisans de la légalisation font valoir trois arguments principaux. D’abord, celui du réalisme : qu’on soit pour ou contre, la pratique des mères porteuses existe. Autant légiférer pour éviter les dérives des pratiques clandestines. Mais, avec cette logique, on peut légaliser le trafic d’organes et le proxénétisme.
Le philosophe Ruwen Ogien avance un argument plus sérieux. Selon lui, sur des questions aussi controversées, l’État ne doit pas intervenir par la loi : « Comme il protège et défend le pluralisme religieux, il doit protéger et défendre [...] le droit de chacun à vivre selon ses convictions morales profondes, dans la mesure où elles ne causent de tort à personne »3. Nous sommes d’accord, mais il faut savoir si ce type de pratiques ne cause vraiment de tort à personne. Le philosophe est prêt à admettre que ce n’est peut-être pas le cas.
Un contrat entre personnes «consentantes »
Intervient alors un dernier argument : les officines qui mettent en relation les couples demandeurs et les mères porteuses potentielles prétendent lier des personnes adultes et « consentantes ». Contrairement aux témoignages sélectionnés par les médias ces derniers mois, montrant des jeunes femmes bien dans leur peau, prêtes à une grossesse de neuf mois par pur esprit de dévouement, la réalité est souvent plus sordide : les milliers de femmes susceptibles de répondre à la demande sont d’abord recrutées... en Ukraine ou en Inde4. Peut-on parler de « consentement », dans des rapports sociaux où les individus ne sont pas égaux ? De plus en plus de femmes, dans la misère ou la précarité, sont réduites au rôle d’instruments de production pour le compte de couples aisés et d’officines qui voient là un nouveau marché fort lucratif.
Certains rétorqueront que ce n’est pas pire que faire des ménages mal payés. On retrouve là les arguments développés par des partisans de la légalisation du proxénétisme par la reconnaissance d’un statut de « travailleuses du sexe ». Il ne faut réprimer ni les personnes qui louent leur utérus, ni les prostituées, mais refuser cette banalisation d’actes qui mettent en cause la force de travail des individus et leur intégrité physique. De l’esclavage au salariat, les travailleurs et travailleuses ont lutté pour préserver leur intimité physique de la force du maître ou du patron. A ce titre, de nombreuses salariées se sont toujours battues contre le harcèlement sexuel au travail. Il ne s’agit pas de morale puritaine mais, tout simplement, pour ces femmes, de contrôler leur vie la plus intime.
Or, alors que la loi du marché règne partout en maître, on veut nous faire croire qu’il serait facile d’accepter de « louer » son sexe ou son utérus sans état d’âme, alors que cela implique des femmes qui se « préparent » à vendre l’enfant qu’elles portent, faisant un vrai travail sur elles-mêmes pour limiter au maximum l’investissement affectif et mental qui accompagne un projet d’enfant. C’est un encouragement à l’aliénation de ces femmes concernées, pour des couples en mal d’enfants. Ce marché s’accompagne d’un autre marché tout aussi lucratif, celui des ovocytes, qui implique pour les femmes « vendeuses » des stimulations ovariennes risquées en termes de santé.
Il ne s’agit pas ici de défendre un modèle familial traditionnel, ni d'interdire les solidarités entre sœurs ou amies, mais de distinguer, comme nous y invite Sylvianne Agacinski, le droit d’avoir un enfant du droit à un enfant, qu'on ne peut mettre à égalité avec le droit à la santé, à l’éducation et au travail. On peut souffrir de ne pouvoir avoir d’enfant, mais rien ne peut justifier que cette frustration soit comblée au prix de la transformation de l’autre en « fours à enfants ».
Josette Trat
1. Lire www.etatsgenerauxdelabioethique.fr
2. Déclaration du 3 juin 2009.
3. Lire le débat entre Ruwen Ogien et Sylviane Agacinski dans Le Monde 2 du 20 juin 2009
4. « En Inde, où la pratique est autorisée, plus de 3000 maternités proposeraient ce service. Le nombre de demandes, en provenance du monde entier, croît fortement. Cela coûte environ 13 000 euros aux demandeurs, sur quoi la mère porteuse ne gagne que 2000 à 4000 euros, une somme importante dans un pays où le salaire annuel moyen est d’environ 550 euros », (Le monde 2), 20 juin 2009.