« La situation est rentrée dans l’ordre », n’a pas hésité à affirmer Jean Castex au lendemain de la panne nationale qui, pendant la soirée du 2 juin, a rendu injoignables les numéros d’appel d’urgence, occasionnant, selon le Premier ministre lui-même, au moins quatre décès.
L’exécutif entend ainsi tourner au plus vite la page d’un « dysfonctionnement », qui a provoqué des morts évitables et dont les causes, au-delà de la « défaillance technique », trouvent leurs racines dans les choix politiques du gouvernement et de ses prédécesseurs
Une panne « technique » et « imprévisible » ?
Chaque jour, 150 000 appels ont lieu en direction du 15 (SAMU), du 17 (police), du 18 (pompiers) et du 112 (numéro d’urgence européen). Ces appels sont redirigés par les différents opérateurs vers le numéro d’appel fixe d’un centre d’urgence local. L’origine de la panne du 2 juin se situe chez l’opérateur privé Orange. L’hypothèse d’une cyber-attaque écartée, la cause de la panne serait une défaillance technique non encore publiquement élucidée.
Face à l’émotion suscitée, la communication gouvernementale a immédiatement multiplié les effets de manche et les coups de menton. Darmanin a fustigé des « dysfonctionnements graves et inacceptables », et Macron s’est dit « très préoccupé ». Des explications ont été exigées du PDG d’Orange qui a présenté « ses plus vives excuses ». Ces déclarations n’ont d’autre but que de dédouaner le pouvoir de ses responsabilités et d’éviter la poursuite d’un débat public sur les causes de l’événement.
Comme l’a, à juste titre, dénoncé Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association des médecins urgentistes (AMUF), cette panne n’a, en effet, rien d’imprévisible. Au cours d’une interview sur France Info (3 juin), il rappelle ainsi : « Depuis de nombreuses années nous insistons sur le fait qu’avec la multiplication des opérateurs, la libéralisation des télécommunications, nos systèmes ne sont pas sécurisés. D’autre part, ils ne sont pas dimensionnés à la hauteur de ce qu’on souhaite ». Il souligne que pour assurer la sécurité des systèmes informatiques, inévitablement fragiles, il faut des investissements lourds (et donc non rentables). Mais, ajoute-t-il, « entre l’État, qui nous demande des économies, et des opérateurs téléphoniques, qui ne pensent qu’à gagner les parts de marché, on ne sécurise pas les numéros essentiels pour la sécurité de la population. »
La question n’est pas « technique ». Elle relève d’une logique économique, celle du profit et de la rentabilité à tout prix. Elle découle des choix politiques des gouvernements successifs, de l’austérité budgétaire de la privatisation des services publics ou de leur transformation sur le modèle du privé.
Il n’est pas rentable de financer, à hauteur des besoins, un système d’appel de secours sécurisé, qui coûte cher et « ne sert à rien », sauf dans des circonstances exceptionnelles. Tout comme il n’est pas rentable d’avoir des lits vides dans les hôpitaux, pour faire face à un afflux imprévu de patientEs, ou qu’il n’était rentable de renouveler des stocks de millions de masques inutilisés en prévision d’une épidémie. En un mot, la panne du 2 juin démontre une nouvelle fois que la satisfaction des besoins humains essentiels, la sécurité et la vie de la population entrent en contradiction avec la logique capitaliste du profit et de la rentabilité.
Poursuivre sur la même voie ?
Mieux vaut pour le pouvoir ne pas s’appesantir sur le sujet, les choses étant « rentrées dans l’ordre », d’autant plus qu’il entend poursuivre et accélérer sa restructuration du système de santé, dans une sens qui va le rendre toujours plus dépendant et donc plus vulnérable à une défaillance « technique ».
L’explosion des recours au Samu et aux urgences, en augmentation constante depuis 20 ans, est en premier lieu la conséquence de la disparition d’autres solutions, rapides et proches pour accéder aux soins. L’extension des déserts médicaux rend ainsi de plus en plus difficile de consulter rapidement un médecin près de chez soi. Elle s’accompagne de la disparition des petits services d’urgence des hôpitaux de proximité ou leur fermeture la nuit. 95 services d’urgence ont fermé en 20 ans.
Les demandes de soin vécues comme urgentes ne trouvent dès lors pas de réponses. Elles se tournent vers le seul moyen qui reste : les plates-formes d’appel, avec tous les risques de retard, de réponse inadaptées, qu’elles comportent, d’autant plus que ces plateformes sont débordées et sans moyens suffisants. Au lieu d’être limités à des situations exceptionnelles et nécessitant une intervention instantanée, le recours aux urgences, devient souvent le seul moyen d’accéder rapidement aux soins.
C’est cette logique qu’entend poursuivre le gouvernement, et le projet en cours d’expérimentation de regroupement de tous les appels d’urgence (police, santé, pompiers) ne pourra qu’aggraver les risques qui se compteront en vies gâchées ou perdues.