« Une vraie fête populaire » : c’est en ces termes que le site du gouvernement présente les Jeux olympiques et paralympiques devant se tenir cet été à Paris. Par eux-mêmes, les enthousiasmes commandés ont toujours quelque chose de suspect : l’accueil des JOP nous promet un simulacre de communion nationale, par lequel le gouvernement espère faire oublier la violence de sa politique de classe et sa compromission sans cesse croissante avec l’extrême droite.
Les JOP ne sont toutefois pas seulement une diversion : ils fournissent aussi le prétexte d’une offensive contre les libertés et d’un accroissement du contrôle policier de nos vies, ainsi que d’une répression sociale impitoyable contre toutes celles et ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont présumés en perturber le bon déroulement.
Cette situation n’a rien d’exceptionnel : comme le démontre le politologue Jules Boykoff dans son livre intitulé Power Games. A political history of the olympics, les JOP participent d’un capitalisme de fête, qui commercialise l’engouement pour le sport et l’instrumentalise au profit du déploiement opportuniste de politiques répressives.
Les jeux du fric et de l’exclusion sociale
Les jeux sont d’abord une affaire d’argent. Loin d’être une célébration désintéressée du sport, c’est d’abord une gigantesque opération publicitaire. Ils réalisent également un immense transfert de richesse du public vers le privé : les investissements sont en effet pour l’essentiel faits avec de l’argent public (4,4 milliards d’euros, 8,8 en comptant les ouvrages olympiques), quand les bénéfices finissent dans les poches du CIO, des industriels du tourisme et des propriétaires privés qui peuvent mettre leurs appartements en location à des tarifs très supérieurs à ceux des périodes normales. Il est dès lors essentiel pour la bourgeoisie de présenter une ville de carton-pâte, dépourvue de contradictions sociales et de la présence encombrante des pauvres.
La bourgeoisie, que la misère ne choque pas, trouverait en revanche scandaleux que celle-ci devienne visible. Le gouvernement s’efforce donc de la dissimuler, en augmentant le harcèlement policier des SDF afin de les pousser à quitter la capitale. Il organise également leur « hébergement » en province, l’espace de quelques semaines, avant de les mettre dehors sans leur offrir le moyen de rentrer à Paris. Les mêmes considérations d’image poussent la police à intensifier le démantèlement des squats de la région parisienne, et l’administration à réorienter les demandeurs d’asile vers les centres d’hébergement situés en régions. Le gouvernement, naturellement, nie l’existence de ces pratiques : cela convaincrait davantage s’il ne s’était pas, depuis sept ans, illustré par sa pratique systématique du mensonge. Au reste, dans les communes de région parisienne, c’est au grand jour que les arrêtés municipaux anti-mendicité et anti-travailleuses du sexe se multiplient.
La ville n’est pas, dans la perspective capitaliste, un espace où les gens habitent, c’est un terrain qui doit être rendu productif et rentabilisé. De ce point de vue, les préparatifs des jeux ont déjà largement servi aux opérations de gentrification soutenues par les divers pouvoir public. La Seine-Saint-Denis a ainsi fait figure d’emplacement naturel pour la construction des infrastructures des jeux, du fait du faible coût du foncier. Cette construction fait toutefois augmenter le prix du terrain, et donc des loyers. Les démolitions d’immeubles, même quand elles sont suivies de relogement, ont entraîné une destruction des liens de solidarité existant entre les habitants. La construction du « village olympique » s’est faite sur l’emplacement d’anciens logements sociaux, et si ce village a vocation à être transformé en logements à l’issue des jeux, ceux-ci seront destinés à un public plus aisé que la population initiale du département. Les jeux sont donc instrumentalisés dans l’objectif d’écarter, autant que possible, les pauvres du centre de la région parisienne, afin d’ouvrir de nouveaux espaces à la petite bourgeoisie.
Cette offensive antipopulaire est loin d’être terminée. L’hébergement des SDF étant moins rentable que l’accueil des touristes, 3 000 lits ont été fermés dans des hôtels sociaux qui, après avoir rompu leur convention avec l’État, sont désormais en travaux et se préparent à recevoir de riches visiteurs du monde entier. L’État a d’ores et déjà annoncé que 2 000 logements étudiants appartenant au CROUS seraient réquisitionnés pour accueillir le personnel des JOP, les étudiant·es qui les occupent étant voués à être expulsés pour la période des jeux. Une compensation est toutefois prévue : 100 euros et – non, pas un Mars – deux places pour les épreuves. Ces pratiques sont d’autant plus choquantes qu’environ 400 000 logements sont vacants en Île de France, dont plus de 18 000 rien qu’à Paris : ce sont ceux-là qui devraient être réquisitionnés, non seulement le temps des jeux, mais de manière permanente pour faire face aux besoins sociaux.
Le réseau de transport, déjà dysfonctionnel et en surcapacité en temps normal du fait de décennies de sous-investissements de la part des pouvoirs publics, va devoir faire face à l’afflux de 10 millions de spectateurs pendant la période des jeux. Les limitations apportées à la circulation automobile entraîneront également une pression accrue sur les transports en commun. Tout est dès lors mis en œuvre pour dissuader les Franciliens de s’en servir. Une campagne publicitaire est ainsi mise en œuvre pour les encourager à privilégier le covoiturage et le télétravail : dans la perception bourgeoise du monde, tout travail est effectuable à distance. Cela n’empêche pas le gouvernement d’annoncer la possibilité pour l’ensemble des commerçants de 15 arrondissements de Paris d’ouvrir le dimanche pendant toute la durée des jeux, augmentant de ce fait les déplacements liés au travail. Par ailleurs, Valérie Pécresse a également déjà annoncé que le prix unitaire d’un ticket de métro passerait à 4 euros pendant la durée des jeux, les billets pour les zones 3 et 4 atteignant 6 euros. Le pass hebdomadaire vaudra pour sa part 70 euros. Les abonnements hebdomadaires et mensuels ne devraient toutefois pas voir leur prix varier : les hausses de tarif concerneront donc, outre les touristes, les personnes les plus précaires qui ne peuvent pas dépenser le prix d’un abonnement en temps habituel et ne travaillent pas à temps plein. Le problème n’est pas que les politiciens et les technocrates méprisent les pauvres, mais qu’ils n’ont probablement même pas conscience de leur existence.
Une répression dopée aux stéroïdes
Les JOP visent à présenter au monde un Paris de carte postale, dans le but d’attirer aussi bien le tourisme que les investissements. Dans cette perspective, aucun incident ne peut être toléré. En mars 2023, l’Assemblée nationale a ainsi adopté une loi permettant « l’expérimentation », pour la durée des jeux, de la surveillance algorithmique des manifestations sportives et culturelles. Il s’agit de permettre l’analyse prédictive des comportements, c’est-à-dire de susciter la mise en alerte de la police avant même que des infractions ne soient commises. De simples attitudes physiques ou des styles anormaux ou considérés comme suspects pourront alors déclencher une intervention, aboutissant à automatiser le harcèlement de populations déjà stigmatisées et marginalisées. Laurent Nunez entend par ailleurs « saturer l’espace public de policiers » pendant les jeux, en déployant 45 000 policiers et gendarmes pendant toute la durée de l’événement. La dynamique d’habituation à une présence policière toujours plus massive et à une militarisation croissante du maintien de l’ordre se poursuit ainsi à l’occasion des jeux.
L’État profite ici d’une forme d’état d’exception festif instauré par les jeux pour imposer une politique qui, en temps normal, serait considérée par la majorité des citoyens comme absolument inacceptable. Si la mise en œuvre de cette politique est présentée comme provisoire, il y a tout lieu de penser qu’elle sera poursuivie au-delà des jeux.
D’une part, en effet, l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique s’étend jusqu’au 31 mars 2025, soit bien après la fin des jeux, et Amélie Oudéa-Castéra a annoncé le 25 septembre 2023 qu’elle pourrait déboucher sur une pérennisation de cette pratique. Les mesures répressives adoptées à titre exceptionnel au cours des JOP ont d’ailleurs été systématiquement prolongées et incluses dans le droit ordinaire lors des éditions précédentes.
D’autre part, et c’est probablement l’essentiel, la vidéosurveillance algorithmique constitue un marché en plein essor. Les jeux fournissent ainsi l’occasion aux entreprises françaises de l’armement et de la surveillance non seulement de faire montre de leur savoir-faire, mais aussi de rendre leurs algorithmes plus efficaces en les faisant travailler sur la base d’une quantité de données inédites dans les pays démocratiques. Une fois les jeux terminés, il est certain que ces entreprises feront pression pour ne pas perdre les marchés ainsi acquis, et que les nouveaux dispositifs de surveillance seront entérinés au nom du « réalisme économique ».
Si la vidéosurveillance algorithmique est officiellement justifiée au nom de la lutte contre le terrorisme, il est clair que ce prétexte est fallacieux. D’une part, en effet, l’efficacité générale de la vidéosurveillance comme outil de prévention des attentats n’a jamais été avérée. D’autre part, il est clair qu’une fois déployés, de tels outils seront mis au service de la répression de la délinquance de droit commun, mais aussi des luttes sociales. De ce point de vue, la création d’un délit de « trouble au déroulement d’une compétition », sanctionné de 15 000 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement constitue un signe inquiétant, puisque les jeux sont ici utilisés comme prétexte pour criminaliser une forme d’action militante de plus en plus populaire. Ce n’est pas des terroristes que Macron et sa clique ont peur, c’est d’une banderole dénonçant leur inaction climatique ou leur politique migratoire – Darmanin évoque comme risque principal « la contestation environnementaliste d’ultra-gauche » – et rien ne montre mieux à quel point ils sont risibles et vulnérables.
C’est dans cette même optique que doivent être comprises les nombreuses restrictions à la liberté de circulation que le gouvernement s’apprête à imposer à la population durant les jeux. Si l’hypothèse d’un « confinement olympique » a été officiellement écartée, il n’en reste pas moins qu’il existera en Seine-Saint-Denis et à Paris un large périmètre dans lequel l’accès motorisé sera interdit ou règlementé. Pendant la cérémonie d’ouverture, ce périmètre sera sans doute extrêmement large. Les personnes « imprévues » devront disposer d’un justificatif pour pouvoir y pénétrer, ce qui impliquera une déclaration antérieure. Ni les personnes en situation de handicap ni les travailleurs devant intervenir dans l’une des zones concernées ne bénéficieront de mesures de dérogation. Enfin, à l’intérieur de ces périmètres existeront des zones dites de « sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme » dans lesquelles les entrées seront conditionnées à une fouille systématique. Si on voit mal comment de telles mesures seraient réellement à même d’empêcher des attentats terroristes dans une ville qui, autour même des points de contrôle, concentrera des flux importants de population, il est en revanche clair qu’elles rendront infiniment plus difficile le déploiement de dangereuses banderoles environnementalistes d’ultra-gauche. Il est alors tentant de penser qu’elles ont été mises en place à cette seule fin.
Une vraie fête populaire : la grève générale
Les JOP n’ont ainsi rien d’une fête populaire : ils sont, en vérité, faits dans l’intérêt des riches, et c’est sans le moindre scrupule que les conditions de vie des classes populaires y sont sacrifiées. Ils servent de prétexte à l’implantation de mesures répressives qui participeront plus tard de la criminalisation du mouvement social. Ils sont l’expression d’un monde qui va à sa ruine : celui du tourisme de masse, de l’indifférence écologique, du divertissement spectaculaire au service des sponsors. Face à une telle réalité, il ne faut pas avoir peur de « gâcher la fête ». Il est certes trop tard pour obtenir l’annulation des jeux – celle des jeux olympiques d’hiver, à ce stade attribués à la France pour 2030, doit en revanche être à l’ordre du jour – mais il est encore temps de les faire dérailler. Le moment est particulièrement propice à la construction d’un rapport de force avec l’État et le capital. La menace d’un blocage des jeux permettrait de mettre un coup d’arrêt à la régression sociale en cours, d’assurer le caractère temporaire des mesures répressives qui sont déployées, et d’arracher au gouvernement des mesures d’urgence sociale. L’impréparation générale rend cette menace crédible. Alors même que personne ne la formule encore, le gouvernement la prend déjà au sérieux : Macron a d’ores et déjà annoncé que « tout serait fait » pour empêcher une grève pendant les jeux, quitte à limiter le droit de grève. L’ouverture à la concurrence des lignes de bus de la RATP a par ailleurs été suspendue, le processus devant reprendre après les jeux. Les transports constituent en effet un secteur crucial, à la fois du fait de l’importance logistique qu’ils ont pour l’organisation même des jeux et de l’impact symbolique que leur blocage pourrait avoir dans une ville sur laquelle les caméras du monde entier seront braquées.
Il est regrettable que, dans un tel contexte, l’attitude des directions syndicales reste ambiguë. S’il n’y a rien à attendre des centrales réformistes, la CGT a un rôle historique à jouer qu’elle n’assume que partiellement. Sophie Binet a ainsi affirmé qu’elle n’allait pas « s’amuser à gâcher la fête pour des millions de françaises et de français », tout en affirmant que le meilleur moyen d’empêcher les grèves, « c’est que les revendications soient entendues avant ». Plus offensive, la CGT RATP a déposé un préavis de grève allant du 5 février au 9 septembre, et couvrant donc l’ensemble de la période des jeux olympiques et paralympiques. Elle se limite toutefois, pour le moment, à des revendications catégorielles. Seule une lutte de masse, interprofessionnelle, pourra faire passer le secteur des transports à la position d’avant-garde du mouvement général des travailleurs. Elle est encore possible, et il nous revient de la construire.