Texte présenté par Aurélien (75), Hervé (91), Maria (75), Zara (93), membres du CPN.
Les élections présidentielles puis législatives ont donné les pleins pouvoirs au Parti Socialiste. Les premiers jours et les premières décisions de la présidence Hollande et du gouvernement Ayrault ont confirmé que les salariés et la classe ouvrière n’ont rien à en attendre sauf quelques gestes de portée limitée destinés à faire patienter les électeurs qui attendent quelques changements de leur vote contre Sarkozy. Car le gouvernement PS a surtout confirmé sa volonté de ne toucher à rien d’essentiel, ni au système capitaliste, ni au pouvoir des possédants, ni même aux contre-réformes des quinquennats précédents. Ces premières annonces visent tout au contraire à pérenniser les mesures imposées par la droite: coup de pouce limité pour le Smic ou plafonnement des salaires des grands patrons du public pour masquer la stagnation ou la baisse à venir des salaires de la grande majorité au nom de la productivité à retrouver; droit à la retraite à 60 ans pour quelques dizaines de milliers de travailleurs pour faire oublier que les dizaines de millions de futurs retraités vont continuer à voir les conditions de leur retraite se dégrader d’années en années. D’une manière générale, les légères améliorations en matière de droits ou de libertés, justice, police, qu’on peut encore attendre de ce gouvernement, serviront donc à faire passer à l’arrière-plan le fait qu’il ne tentera rien pour que la crise ne soit pas payée de plus en plus durement par les classes populaires.
Tant mieux si quelques progrès, bien limités et pour peu de gens, sont enregistrés. Il n’en reste pas moins qu’il faut s’attendre, pour la grande majorité, à de nouveaux coups, sans doute encore bien plus sévères que ceux encaissés jusque-là: le montrent la situation de la population grecque et «l’aide» que, dans la continuité de l’UMP, le gouvernement PS préconise de lui apporter. Il ne peut donc être question pour le NPA d’adopter une autre attitude que celle d’opposition radicale, absolue et intransigeante au gouvernement de gauche.
Ne pas fonder notre politique sur un bloc durable avec le Front de gauche
Les directions syndicales sont bien décidées à se livrer aux jeux de la concertation et de la négociation auxquels le gouvernement les invite. Elles n’engageront d’épreuves de force que si cela est indispensable pour garantir l’existence des appareils qu’elles représentent ou si la colère des travailleurs ne permet pas d’éviter une confrontation, qu’elles essaieront de limiter au maximum. La gauche de la gauche et le Front de gauche se sont déjà placés en position de soutien à Hollande. Nul doute qu’ils resteront prudemment critiques à condition que cette critique ne mette pas en danger le gouvernement ou le président.
Tout cela ruine d’avance toute perspective de s’intégrer au Front de gauche et même de former un bloc ou front durable avec lui. Le NPA ne peut raisonnablement former une «opposition de gauche au gouvernement» avec une organisation dont des composantes essentielles entendent soutenir ce gouvernement, voire envisagent d’y participer. Qu’on le veuille ou non, un front durable implique engagement et solidarité, voire discipline dans l’action, entre les organisations qui le forment. Quel bloc permanent est possible entre des organisations dont les politiques seront fondées sur des orientations contradictoires et même opposées? Quel engagement dans l’action entre un NPA qui milite pour une mobilisation d’ensemble du monde du travail et un FdG dont l’orientation principale est d’exercer une pression parlementaire? La condition nécessaire ou suffisante pour constituer aujourd’hui une opposition de gauche avec le FdG n’existe pas, à moins d’un retournement complet et donc tout-à-fait improbable de sa part. Il est donc inutile d’en faire une perspective, même tactique. Il serait nuisible de fonder notre politique sur cette perspective.
Certes, la politique du Front de Gauche continuera à être zigzagante et contradictoire, mêlant continuellement soutien et critique, oscillant sans arrêt de l’un à l’autre. Mais même lorsque le FdG, ou certaines de ses composantes, se trouveront impliqués dans des luttes, des mobilisations, des campagnes, allant explicitement ou implicitement à l’encontre de la politique du gouvernement, ce sera avec la volonté de ne pas rompre totalement avec ce dernier.
C’est pour cela que notre politique unitaire ne doit et ne peut être aujourd’hui que ponctuelle. Nous devrons proposer d’agir en commun, voire militer ensemble à tous ceux qui sont impliqués dans des luttes, mobilisations ou campagnes dans lesquelles nous serons impliqués nous-mêmes, quelles que soient leur position vis-à-vis du gouvernement. Mais l’unité ne peut se faire qu’au coup par coup. Elle ne doit pas être de celles qui nous lieraient durablement à des gens qui sont liés ou visent à se lier au pouvoir en place. C’est d’ailleurs par une telle attitude que nous pourrions gagner à la longue tout ou partie du FdG et de ses militants à une véritable opposition. Pas en nous précipitant aujourd’hui sur son terrain, pas par cette sorte d’alliance où ce sont toujours les organisations les plus à gauche qui, pour n’avoir pas défendu leur indépendance, tirent les marrons du feu pour les autres.
Combattre l’emprise du Front national dans les milieux populaires
L’inquiétude devant la place prise par le FN n’y change rien. Le danger, dans l’immédiat, est qu’il accroisse l’emprise déjà acquise dans les milieux populaires et ouvriers. On ne l’écartera pas par des indignations vertueuses ou des affrontements électoraux et médiatiques si chers, semble-t-il, à Mélenchon, mais manifestement peu concluants.
C’est le scepticisme en leurs propres forces et en la lutte qui pousse tant de salariés modestes, chômeurs ou retraités, ex-électrices et électeurs de gauche ou même d’extrême gauche, à regarder vers l’extrême droite et à lui donner leur voix. On combattra l’emprise du FN sur les milieux populaires par la confrontation directe avec l’idéologie et le programme lepénistes dans ces milieux. C’est là, sur les lieux de vie et de travail des classes exploitées, que les prétentions de Le Pen à représenter les intérêts du monde du travail doivent être démontées et réfutées, par la propagande et l’agitation quotidiennes, y compris par l’organisation d’une riposte plus musclée si l’extrême droite passait en France aux agressions physiques contre certaines sections de la population comme elle commence à le faire en Grèce contre les immigrés, mais avant tout en proposant une politique qui se traduise par des luttes et des succès, même petits, même partiels, une politique qui montre aux travailleurs qui est dans leur camp et qui n’y est pas.
Changer d’orientation
Oui, nous pourrions et devrions proposer l’unité au Front de Gauche et à ses militants, comme aux autres organisations de la gauche politique, syndicale ou associative pour des activités et une politique sur le terrain. A condition évidemment de les mener d’abord nous-mêmes car sans rapport de force, sans implantation et sans résultats, toutes les propositions d’intervenir ensemble dans les luttes, tous les appels enflammés au «front unique» ne sont que formules creuses sans impact.
C’est dire que nous devons changer d’orientation.
Changer d’orientation, c’est cesser d’élaborer notre politique d’élections en élections... en vue de l’élection suivante, comme si nous n’étions qu’une formation politique comme les autres qui ne vise qu’à prendre sa place dans le système institutionnel et non «un parti anticapitaliste qui vise à la transformation révolutionnaire de la société». Cette stratégie du «tout électoral» n’a guère réussi au NPA lui-même. Elle est une des raisons essentielles du départ de beaucoup d’adhérents, déçus par les résultats du NPA ou éblouis par ceux du FdG. Et les désaccords à propos de la tactique électorale sont la principale cause des affrontements internes.
Laissons donc les élections à la place qui doit être la leur dans les préoccupations d’une organisation révolutionnaire. Participons le moment venu et quand nos forces nous le permettent. Il était ainsi tout à fait justifié de prendre part aux dernières présidentielles et législatives, de faire connaître un peu plus largement une politique et un programme correspondant aux intérêts de la population, quels que soient nos maigres et décevants résultats cette fois-ci.
Mais, entre deux élections, et maintenant pour les deux ans qui viennent au moins, c’est d’une autre manière que nous devons trouver le chemin et l’attention des classes populaires. En nous implantant et faisant exister le NPA dans notre classe, en participant et contribuant à ses luttes et ses mobilisations.
Beaucoup de comités et de militants ont une activité dans les entreprises, les quartiers ou la jeunesse. Beaucoup participent aux luttes quand il y en a dans leur secteur. Mais ce travail se fait généralement quasi-uniquement dans le cadre d’un syndicat, d’une association, d’un collectif. Celui au nom du NPA est plus rare. Une intervention politique autonome dans les luttes comme dans l’activité quotidienne est pourtant indispensable pour l’implantation dans la classe ouvrière et les couches populaires, comme pour le recrutement de nouveaux militants.
Au fur et à mesure que la politique du gouvernement va révéler plus clairement sa vraie nature de classe et faire tomber quelques illusions, des résistances vont se former non seulement pour la défense des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière mais aussi sur le terrain de l’écologie, du féminisme, contre les discriminations et les injustices de toutes sortes. Il est normal que des militants en fonction des situations locales et personnelles, participent à ces mobilisations contre différentes formes d’oppression.
Mais toucher à tout, surtout en fonction des seules situations individuelles, aboutit généralement à n’agir sur rien. Et ce n’est pas une politique pour un parti aux effectifs et à l’implantation limités. Le NPA doit se donner des priorités en fonction de ses objectifs: la mobilisation d’ensemble par la convergence des luttes qui ne peut se faire qu’autour de la défense des conditions de vie et de travail.
Le NPA n’a pas les moyens d’être présents autrement que symboliquement sur tous les fronts. Nous n’avons pas les moyens d’impulser toutes les campagnes, aussi justifiées et nécessaires soient-elles. Il nous faut donc choisir de porter nos prochains efforts sur celles qui nous semblent correspondre aux problèmes et aux préoccupations essentielles des salariés: aujourd’hui à notre avis l’emploi et les salaires, quitte à changer si demain l’actualité mettait d’une façon évidente une toute autre question à l’ordre du jour de la lutte de classe.
Si nous avons donc une campagne à entreprendre dès septembre, c’est sur ces objectifs du plan d’urgence. Mais contrairement aux pseudo-campagnes précédentes sur les salaires ou l’emploi, ce doit être une campagne digne de ce nom, impulsée par la direction. Car, même si nos effectifs se sont réduits, même si une partie des adhérents et des comités ne pouvaient ou ne voulaient pas y participer, des militants concernés, coordonnés et motivés auront certainement un autre impact que s’ils sont isolés et dispersés, ne sachant pas ce que veut vraiment leur parti. Alors, il y aurait enfin une intervention du NPA autre qu’électorale dans la vie politique de ce pays.
Il nous faut inverser les priorités telles qu’elles ont eu cours jusque-là. Participer aux élections, mais d’abord pour prolonger des interventions du parti dans la vie, les luttes de la classe ouvrière et des couches populaires, au niveau des entreprises, des quartiers, des lycées et des universités. Défendre publiquement au nom du NPA une politique de lutte de classe en toutes occasions, tout en militant aussi dans les syndicats, des collectifs ou des associations populaires. Et, dans l’immédiat, faute de pouvoir intervenir tout de suite sur tous les terrains, choisir ceux vers lesquels diriger l’activité des militants et des comités, les secteurs qui joueront un rôle décisif lors des prochaines mobilisations d’ensemble: les lieux de travail et la jeunesse.