Publié le Mercredi 20 janvier 2021 à 11h17.

Derrière la question de l’emploi, des choix de société

Derrière la question de l’emploi, ce sont des questions de société qui sont posées. Nous revenons dans cet article sur un certain nombre de revendications essentielles pour lutter contre les licenciements et les suppressions de postes et, au-delà, pour poser la question, ici et maintenant, d’une autre organisation du travail, de la production, de la vie sociale.  

Réduction du temps de travail : pour la semaine de 28 heures

Dans la situation actuelle, cette revendication prend tout son sens. Certaines entreprises ne passeront pas la crise, sont dépassées, en décalage avec la demande. D’autres utilisent le prétexte de la crise pour supprimer des emplois malgré, pour les grandes, les sommes déversées par l’État. Mais dans tous les cas, ce n’est pas aux salariéEs d’en faire les frais. Nous sommes pour une réduction drastique du temps de travail jusqu’à la résorption totale du chômage, c’est-à-dire « l’échelle mobile du temps de travail ». D’après les chiffres de l’INSEE, 19,1 millions de salariéEs à temps complet travaillent en moyenne 1 680 heures par semaine ce qui représente 32,1 milliards d’heures par an. Si on devait partager ce temps de travail avec les 3,7 millions de chômeurs de catégorie A (qui sont entièrement privés d’emploi), on arriverait autour de 29 h par semaine. Si on rajoute à cela les chômeurEs non répertoriés et les temps partiel qui veulent travailler plus, nous serions rapidement à 28 h par semaine, voire moins ! Bien sûr, pour que cette mesure soit efficace, elle doit se faire sans flexibilité ni perte de salaire ni dégradation des conditions de travail. Ce qui suppose une ­mobilisation des salariéEs.

Interdiction des licenciements

Les licenciements « secs » ne sont que le haut de l’iceberg des près de 800 000 emplois salariés supprimés en 2020 : de nombreuses suppressions d’emplois se font en ne renouvelant pas les CDD, les intérimaires, en poussant à des préretraites ou à des ruptures conventionnelles. Nombre d’entreprises qui ferment ou réduisent l’emploi le font au nom du risque de « dépôt de bilan », de pertes financières, etc., mais cela reste largement à démontrer. Pour cela il faut avoir accès aux livres de comptes, lever le secret bancaire et toutes les « astuces » dont disposent les patrons pour masquer leurs comptes.

Par ailleurs, nombre de « petites » entreprises sont des filiales ou des sous-traitants des grands groupes, notamment du CAC 40. On le voit bien actuellement avec la raffinerie de Total Grandpuits : si le plan de licenciements se faisait, il entrainerait la perte de 200 emplois chez Total mais 500 chez les sous-traitants. Il faut donc à chaque fois revenir aux donneurs d’ordre pour se rendre compte qu’il n’y a bien souvent pas de faillites à proprement parler, mais des choix délibérés des grands groupes de développer les filiales ou la mise en concurrence entre les sous-traitants.

Dans de nombreuses entreprises, les licenciements sont « cachés ». La SNCF perd un peu plus de huit emplois par jour : les départs à la retraite, les démissions (de plus en plus importantes), les licenciements individuels, le recours à l’intérim, etc. ne sont pas remplacés, avec au total des conditions de travail qui se dégradent pour celles et ceux qui restent. La SNCF met beaucoup en avant l’augmentation de la productivité par « les nouvelles technologies, la révolution numérique, etc. », pour justifier la baisse des effectifs. C’est en partie faux : la SNCF comme les autres grandes entreprises développe surtout l’emploi dans ses filiales pour baisser le coût du travail.

Mais de toute façon, les progrès technologiques doivent entrainer des progrès sociaux, pas le contraire, d’où l’intérêt de lier la réduction du temps de travail à l’interdiction des licenciements.

Retraite à 60 ans

Le retour à la retraite à 60 ans (55 ans pour les métiers pénibles), avec un calcul fait sur la base de 37,5 annuités et sans système de décote fait également partie de la réduction du temps de travail. Par ailleurs le système économique est tellement hypocrite que les patrons qui déclarent qu’il faut repousser l’âge de départ à la retraite… sont les mêmes qui mettent en place des « plans de départs volontaires » dans leurs entreprises pour les plus âgéEs !

Nos vies valent plus que leurs profits

À la condition de s’en prendre aux profits capitalistes et en s’attaquant au « droit » des patrons à décider de l’avenir de millions d’individus, nous ferions la démonstration que le chômage n’est pas une fatalité. Cela implique une incursion dans la propriété capitaliste : décider nous-mêmes ce qu’il faut produire, comment et pour qui. 

Prenons l’exemple du prochain porte-avion à propulsion nucléaire que Macron vient de commander pour 2038. Son coût minimal est estimé à 5 milliards (en général on arrive vite au double). Il est sensé fournir du travail à 2000 personnes pendant 11 ans. Pourquoi ne pas utiliser cet argent et ce temps de travail pour produire des choses utiles à la société : des trains, des équipements médicaux qui font tant défaut, etc. ? Cet exemple est généralisable à l’ensemble des entreprises : déterminer les emplois et la production en fonction des besoins de la population au lieu des profits.

Dans les entreprises, la réduction du temps de travail entrainerait des discussions bien plus enthousiasmantes que le repli sur soi voulu par les réorganisations en tous genres. Comment travailler 28 heures par semaine ? Quatre jours à 7h ? Une semaine de trois jours en alternance avec une semaine de quatre jours à raison de 8h par jour ? Une semaine de cinq jours avec un compteur de RTT ? Les combinaisons sont nombreuses. Et même en réduisant le temps de travail, il faudrait continuer à créer des emplois : dans les services publics, la santé, l’éducation. Bref, il s’agit bien de faire passer nos vies avant leurs profits.

Une aspiration à une vie meilleure

Partout au boulot nous rencontrons des salariéEs qui en ont ras-le-bol, mare des injonctions contradictoires des managers, des cadences, de l’ennui dans un boulot qui perd son sens, de l’impression qu’avec le recul permanent de l’âge de départ à la retraite l’horizon d’une vie « libérée » du travail s’éloigne chaque fois un peu plus. C’est aussi un des enseignements du premier confinement : nombreux sont celles et ceux qui se sont rendus compte que le travail ne leur manquait pas, bien au contraire.

L’aspiration au temps libre (en opposition au temps au travail) est une réalité à ne pas sous-estimer. Réduire le temps de travail, c’est du temps, pour s’occuper de ses enfants, faire la cuisine, s’occuper des affaires de la cité, faire de la politique, du vélo, des voyages, des études, aller à la bibliothèque ou à la piscine….

L’échelle mobile du temps travail, ferait également baisser la pression sur les travailleuses et travailleurs sur qui le patronat fait peser un chantage permanent au chômage. Sans cette épée de Damoclès, la confiance du monde du travail pour arracher de nouveaux droits n’en serait que renforcée.

Nous n’avons pas de solution pour rendre ce système viable. Celui-ci est basé sur l’exploitation de la femme et l’homme par l’homme. En soi, il n’est pas transformable mais nous pouvons et nous devons arracher des conquêtes sociales et montrer que face au déferlement de fermetures d’entreprises que nous connaissons, nous avons d’autres solutions à proposer qu’un peu plus de misère et de chômage.