Entretien. François Hollande multiplie les annonces en matière fiscale. Nous avons interrogé Vincent Drezet, secrétaire général de Solidaires Finances publiques.
François Hollande vient d’annoncer de nouvelles baisses d’impôt. Qu’en est-il exactement ?
Cette nouvelle baisse est avant tout très « politique » : nous sommes proches des échéances électorales de 2017 dans un contexte de mécontentement croissant face à tout ce qui touche à la fiscalité. C’est ce que certains ont nommé « ras-le-bol » fiscal, alors qu’il est avant tout global face à une situation de crise que les choix politiques perpétuent de fait. Celui-ci a été alimenté par des hausses significatives qui sont intervenues sans réformer un système fiscal complexe, instable et injuste. De plus, elles ont été mises en œuvre dans le cadre de politiques de rigueur qui, parallèlement, n’ont cessé de dégrader la qualité des services publics et la couverture sociale. Enfin, alors que la réduction de la dette publique était présentée comme prioritaire, celle-ci a continué d’augmenter. L’opinion s’est estimée flouée. Les baisses de l’impôt sur le revenu décidées pour 2014, 2015 et 2016 constituent donc une forme « d’aveu » d’une fiscalité sur le revenu déséquilibrée qui touche effectivement trop fortement les fameuses « classes moyennes ». Ajoutons à cela que ce faisant, on oublie que d’autres hausses d’impôt injuste (la hausse de la TVA par exemple) sont pour leur part maintenues. Il en va de même de baisses en faveur des entreprises comme le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi)...
Allons-nous vers la fin de l’impôt sur le revenu ?
Alors qu’avant son arrivée au pouvoir, il plaidait pour une grande réforme fiscale qu’il n’a pas mise en œuvre, François Hollande justifie cette baisse en disant qu’elle permettra de revenir au niveau de 2010, année au cours de laquelle environ 46 % des foyers fiscaux étaient imposables. Mais présenter l’année 2010 comme une année référence est arbitraire, cela n’a rien de pertinent ni de légitime ! Pire, il vise l’impôt sur le revenu qui, compte tenu de ses caractéristiques intrinsèques (un impôt direct et progressif), devrait être le pivot du système fiscal. Il s’inscrit dans la droite ligne des gouvernements précédents qui, au cours des années 2000, ont affaibli l’impôt sur le revenu. Celui-ci demeure complexe du fait du grand nombre de « niches fiscales » qui truffent son assiette (chacune d’entre elle étant assortie de conditions particulières). De ce fait, il reste injuste puisqu’il n’empêche pas les stratégies de défiscalisation des ménages les plus aisés. Outre son caractère « politique », la baisse récemment annoncée ne fait que poursuivre un travail de sape d’un impôt qui devrait au contraire être réformé en profondeur.
Et la retenue à la source ?
Cette décision procède de la même logique : François Hollande est « coincé » sur la fiscalité, le dossier qu’il n’avait cessé de porter avant son arrivée au pouvoir. Faute d’une grande réforme fiscale qu’il avait promise, il agit dans la précipitation en décidant de mettre en œuvre la retenue à la source tout simplement parce que les Français s’y déclarent favorables, pensant que l’impôt sur le revenu sera prélevé comme les prélèvements sociaux, pour « solde de tout compte » en quelque sorte. En la matière, les idées fausses sont nombreuses. Loin de constituer une simplification telle qu’elle est perçue par l’opinion, la retenue à la source s’avère être une opération à haut risque, particulièrement complexe. Outre que la transition d’un système à l’autre est un véritable casse-tête, elle n’améliorera pas le niveau de recouvrement, déjà très élevé, de l’impôt sur le revenu. Elle implique des rouages complexes entre le contribuable, l’administration fiscale et l’employeur (ou la banque). En effet, la retenue à la source consiste à prélever sur la fiche de paie (ou sur le compte bancaire), l’impôt de l’année N sur les revenus de l’année N. Seulement voilà, compte tenu de la structure de l’impôt sur le revenu (qui comporte un quotient fiscal, une exception au regard des autres pays) et notamment des niches fiscales, tout changement dans la composition du foyer fiscal (naissance d’un enfant, séparation…), toute dépense ouvrant droit à réduction d’impôt, tout changement dans la situation professionnelle (hausse ou baisse des revenus, changement d’employeur…) a un impact sur le montant de l’impôt, donc sur la retenue à la source. Il faut donc une grande réactivité des contribuables, de l’administration fiscale et des employeurs pour actualiser le montant de la retenue à la source. Une déclaration des revenus sera toujours nécessaire, et sera suivie de nombreuses régularisations en fonction des changements intervenus.
Les partisans de la retenue à la source estiment qu’elle permettra de dégager des gains de productivité dans l’administration fiscale, ce qui est parfaitement faux si l’on regarde la réalité en face : sa complexité et les missions nouvelles qu’elle crée, en particulier le contrôle des entreprises afin qu’elles reversent l’impôt qu’elles collecteraient, une mission qui n’existe pas mais qu’il faudra créer pour éviter la fraude au recouvrement comme elle existe malheureusement déjà pour la TVA et les prélèvements sociaux.
On entend parfois également que la retenue à la source existe ailleurs, ce qui suffirait à justifier son instauration en France. C’est oublier qu’il n’existe pas de « modèle unique » de retenue à la source (il en existe plusieurs formes), qu’elles font parfois l’objet de critiques là où elles existent, que l’impôt sur le revenu présente des structures différentes (il n’existe pas de quotient familial ailleurs) et, enfin, qu’elles ont été instaurées dans la plupart des pays avant les années 1960. Le mode de recouvrement du futur n’est pas la retenue à la source, il reste à inventer.
Au début du quinquennat de Hollande, la lutte contre la fraude fiscale était présentée comme une priorité. Qu’en-est-il aujourd’hui ?
En réalité, on peut difficilement dire que la lutte contre la fraude fiscale (qui représente 60 à 80 milliards d’euros en France et 1 000 milliards d’euros au sein de l’Union européenne) a été la priorité de Hollande au début de son quinquennat ni qu’elle a été celle des gouvernements précédents. Mais les affaires (Courbette, Cahuzac, HSBC, Luxleaks) ont forcé les gouvernements successifs à parler de fraude fiscale. Il serait malhonnête de dire qu’il ne s’est rien passé. Des mesures intéressantes ont été prises, notamment en 2013 dans le cadre de la loi dite « « anti-fraude », et des discussions sont en cours au niveau international (sur l’échange automatique d’informations). Mais outre que tout cela intervient bien tardivement, il reste que globalement, la volonté politique demeure au mieux « fragile » : en témoignent les décisions discutables sur l’harmonisation européenne de l’impôt sur les sociétés ou encore la persistance à affaiblir les moyens humains et budgétaires des administrations fiscales. Cette volonté politique est au pire insuffisante car incitée par les affaires et, au fond, non voulue de la part d’États qui ne veulent pas jouer le jeu. Il faut changer de braquet, faute de quoi la fraude (de fait payée par les contribuables honnêtes), qui exerce une forte pression sur les finances publiques du fait de l’évasion fiscale internationale et du développement de l’économie souterraine, poursuivra sa progression.
Les suppressions d’emplois à la Direction générale des Finances publiques continuent : 2 548 emplois en moins rien que pour 2016. Quelles conséquences pour les agents, les usagers et les missions ?
Elles sont catastrophiques pour la collectivité dans son ensemble. Elles sont supportées par les usagers qui attendent plus longtemps avant d’être reçus par des agents moins nombreux, qui subissent l’éloignement du service public (puisque des services sont rayés de la carte notamment en milieu rural) ou encore qui voient la fraude s’envoler. Elles sont évidemment aussi supportées par les agents dont la charge de travail et la complexité des missions qu’ils assurent s’accroissent sans cesse. Ces suppressions d’emplois ne sont pas nées avec la crise et les politiques de rigueur (on en dénombre plus de 32 000 depuis 2002), et ignorent l’évolution du travail, les besoins de la population et, tout simplement, la réalité économique et sociale. Jamais le service public fiscal, financier et foncier, n’a été aussi important (tant en termes d’enjeux que de charge de travail). Jamais, par conséquent, ces suppressions n’ont été aussi dogmatiques et illégitimes.
Propos recueillis par Sandra Demarcq