Il est un voisin de la Russie et de l’Ukraine dont on ne parle que trop peu souvent quand il s’agit de comprendre les enjeux de l’invasion brutale de Poutine. Et pourtant ce qui se déroule en Biélorussie est riche d’enseignements pour qui souhaite se placer du côté des peuples en lutte dans l’espace post-soviétique.
Si l’impact du mouvement social ukrainien de Maïdan sur les velléités guerrières de Poutine ne fait pas de doute, la grande grève qui a secoué la Biélorussie lors de l’été 2020 n’en a pas moins inquiété le Kremlin. L’élite russe redoute par-dessus tout l’émergence d’une lutte sociale structurée dans les États de l’ex-URSS, qu’elle continue de considérer comme son arrière-cour.
Vague de grèves inédites en 2020
Dans cette économie étatique à près de 75 %, les relations de travail sont parmi les plus brutales et répressives qui soient, et n’ont fait que se dégrader tout au long des trois décennies de la dictature de Loukachenko. Droit de grève interdit, systématisation des contrats CDD de 1 an pour le public ou le privé, services publics devenus payants pour les chômeurEs, travail pénitentiaire comme outil pour « améliorer, changer les prisonniers pour le mieux, corriger leur comportement », recours au travail forcé pour environ 50 000 personnes… entre autres restrictions1.
À l’été 2020, les élections truquées sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Une puissante vague de grèves, inédite ces dernières décennies dans cette région du monde, ébranle considérablement le régime en place. Le BKDP, syndicat d’opposition très impliqué dans les comités de grève et leur coordination — conjointement aux militantEs politiques de Rabochy Rukh (Mouvement ouvrier) — estime que les capacités de production chutent de 50 % durant le mouvement social. La répression, avec le soutien de la police politique du grand-frère Poutine, est violente : des milliers de personnes sont emprisonnées, des centaines torturées, certains disparaissent ou meurent. La répression et les procès contre les animateurs de cette grève n’ont pas cessé depuis.
Répression des syndicalistes et dissolution du syndicat
Avec le début de l’invasion poutinienne, le BKDP prend une position courageuse de soutien aux UkrainienEs, en phase avec une population opposée à plus 70 % à cette guerre fratricide. Son principal dirigeant, Aliaksandr Yarashuk, déclare notamment : « Exigez sur vos lieux de travail, au nom des collectifs de travail : non à la guerre, non à la participation de la Biélorussie à celle-ci ! Exigez l’interdiction d’envoyer des troupes biélorusses en Ukraine. Exigez le retrait des troupes russes de notre pays ! » Il a depuis été condamné à 4 ans de prison fermes, en même temps que le syndicat BKDP a été dissous. Au total, trois douzaines de syndicalistes ont été condamnés à 64 ans de prison et 12,5 ans de liberté restreinte, et 10 procès sont en attente contre les militantEs Rabochy Rukh, chacun risquant jusqu’à 15 ans de prison.
Lizaveta Merliak, responsable internationale du BKDP en exil déclare à ce sujet : « Cette offensive antisyndicale totale est devenue possible en raison de l’implication terrible du gouvernement biélorusse dans la guerre injuste de Poutine en Ukraine […] l’attaque contre le mouvement ouvrier démocratique a pris de l’ampleur de façon spectaculaire avec le début de la guerre et avec la position antiguerre du Congrès biélorusse des syndicats démocratiques ». Une répression qui touche aussi les associations de défense des droits humains, les librairies et éditeurs indépendants, et tout ce qui peut représenter un « danger » pour le régime…
La résistance des ukrainienEs est aussi la défense d’un horizon émancipateur pour toutes celles et ceux qui luttent dans la région. Il est temps pour la gauche mondiale de mener campagne pour elles et eux aussi !
- 1. Voir l’interview des deux dirigeants du BKDP en exil réalisé par la CGT dans « Témoignages de quatre syndicalistes en guerre », Soutien à l’Ukraine résistante, Brigades éditoriales de solidarité, vol. 16