Vous avez dit « Françafrique » ?
Le terme de « Françafrique » a d’abord été forgé par le président-autocrate Félix Houphouët-Boigny. L’homme, qui a régné en « patriarche » sur la Côte d’Ivoire depuis son indépendance en 1960 jusqu’à sa mort en 1993, était le partisan d’une très étroite coopération avec l’ex-puissance coloniale. Les intérêts économiques français étaient bien servis par lui, mais il y en avait aussi pour la classe politique française. L’homme est allé jusqu’à recevoir à plusieurs reprises un certain Jean-Marie Le Pen… Dans la bouche de son inventeur, le terme de « Françafrique » devait signifier l’amour éternel et l’esprit d’étroite coopération qui existeraient entre la France et les élites dans ses ex-colonies africaines.
« Le plus long scandale de la République »
Plus tard, le mot a connu une seconde carrière, puisque l’écrivain – et ancien président de l’association Survie – François-Xavier Verschave a intitulé son livre publié en 1998 la Françafrique, avec pour sous-titre « Le plus long scandale de la République ». Aux yeux de l’auteur, il s’agissait de décrire un système politico-économique aux soubassements criminels qui avait été créé lors de l’indépendance formelle des anciennes colonies françaises, notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
La plupart de ces pays ont acquis leur souveraineté formelle entre 1958 pour la Guinée-Conakry et 1977 pour Djibouti. Mais le système « françafricain », fondé sous la présidence de De Gaulle et supervisé par son conseiller Jacques Foccart, a servi à détourner cette indépendance pourtant célébrée officiellement. Il s’agissait de maintenir un contrôle étroit sur l’accès aux matières premières dans les ex-colonies, de sélectionner le personnel politique destiné à diriger les nouveaux États, et de maintenir un accès permanent à ces pays pour l’armée française.
Une série d’accords bilatéraux ont ainsi été signés dans les années 1960. Ils garantissaient un accord privilégié aux « ressources stratégiques » et le maintien de bases militaires françaises.
À l’évidence, ce système a servi d’abord aux grandes entreprises françaises, au premier rang desquelles il faudra citer Elf (devenu Total) pour le pétrole, ainsi que le groupe Bolloré pour les transports et les infrastructures.
Une longue histoire de domination
Des membres du personnel politique des pays concernés qui souhaitaient se débarrasser du système l’ont souvent payé très cher. Un certain nombre de protagonistes politiques ont ainsi été assassinés sous impulsion directe des dirigeants français. Ainsi le président élu du Togo, Sylvanus Olympio assassiné en 1963 (depuis, une même famille est restée au pouvoir : Gnassingbé Eyadema jusqu’en 2005, puis, depuis sa mort, son fils Faure Gnassingbé). Au Mali, le premier président après l’indépendance, Modibo Keïta, aux orientations socialistes, a été débarqué par un coup d’État militaire en 1968. Ces deux présidents avaient tous les deux eu le tort de vouloir sortir de l’union monétaire avec la France, le fameux « franc CFA ».
Oui, ce système existe bel et bien. Il est vrai que dans le discours politique et médiatique dominant, il a d’abord été présenté comme un fantasme… Puis des journalistes proches des élites dominantes (ainsi Antoine Glaser, autoproclamé expert en la matière) se sont emparés du terme de « Françafrique » pour admettre que ça a dû exister… mais uniquement dans le passé !
Ce système a en réalité la peau dure, bien qu’il ait changé de forme et de mode de fonctionnement. Auparavant, les fondations de la « Françafrique » étaient en bonne partie étatiques. Cela a évolué sous l’emprise des privatisations et de la « mondialisation » capitaliste.
Deux piliers de la Françafrique : l’armée et la monnaie
Les deux piliers de la « Françafrique » que sont la présence de l’armée française et le contrôle monétaire (avec la monnaie commune CFA) sont toujours en place. Le nombre de bases militaires permanentes françaises a certes été réduit. On en compte aujourd’hui deux principales , à Libreville (Gabon) pour la façade atlantique et à Djibouti pour l’Afrique de l’Est. Mais les « capacités de projection » aériennes actuelles font que c’est largement suffisant pour couvrir une grande partie du continent. Une troisième grande base, à Dakar, a été restituée en 2011 à l’État sénégalais... mais avec le maintien permanent sur place de 350 soldats français !
Le sigle « CFA » désignait initialement « les colonies françaises d’Afrique ». Le sigle a toujours été maintenu, même si le nom a été pudiquement transformé : « Coopération financière en Afrique » ou « Communauté financière d’Afrique », selon la version de l’Union monétaire (puisqu’il en existe deux : une avec l’Afrique occidentale, l’autre avec l’Afrique centrale). Et ce n’est pas le supposé « remplacement » du Franc CFA qui va changer les choses. Comme le rappellent le CADTM et Survie : « La prétendue fin du Franc CFA (uniquement pour les 8 États membres de l’UEMOA, Union économique et monétaire ouest-africaine) actée et votée par l’Assemblée nationale puis le Sénat en décembre et janvier dernier, confine à la galéjade. En effet, dans ce mauvais tour de prestidigitation, Emmanuel Macron a juste essayé de détourner l’attention en agitant le changement de nom en ECO pour tenter de faire croire qu’il avait vraiment fait disparaître deux des dispositions du système Franc CFA les plus dénoncées par les Africains, la représentation française dans les instances de décision et le compte d’opération, alors que les deux sont en fait maintenues sous d’autres formes. Sans compter qu’aucune des autres dispositions fondamentales de ce système n’a été touchée. Bref, sur le fond, rien n’a changé : la France garde le contrôle de cette monnaie. »1
En finir avec la Françafrique
Nous militons pour la fin de la domination néocoloniale en Afrique, ce qui passe par une suppression des bases militaires françaises, la reconnaissance de la souveraineté économique des pays africains, la fin du soutien aux dictatures et des ingérences, officielles ou officieuses, mais toujours au nom des seuls « intérêts de la France » dans les processus politiques et sociaux du continent. Nous défendons aussi la liberté de circulation et d’installation entre l’Europe et l’Afrique. Enfin, nous nous battons pour l’expropriation des groupes participant au pillage, au premier rang desquels se situent Total et le groupe Bolloré.
- 1. CADTM et Survie, « Le véritable New Deal avec l’Afrique c’est d’en finir avec son pillage et le néocolonialisme ! », 21 mai 2021.