Une situation « pire qu’elle n’a jamais été » : cette déclaration sur BFM-TV émane de Frédéric Valletoux (maire LR de Fontainebleau), le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), puissant lobby représentant « les établissements hospitaliers » et avant tout porte-voix des directeurs d’hôpitaux. Elle reflète leurs inquiétudes.
Après avoir accepté en « bons petits soldats » de gérer la pénurie et les crises, de restructurer, de supprimer des postes, de reprendre les acquis, de sanctionner, les « managers hospitaliers » se trouvent face au risque d’un effondrement auquel ils craignent de ne pouvoir faire face : fuite des personnels en poste, et incapacité de les remplacer.
Valletoux poursuivait ainsi son intervention : « On voit partout ces chiffres qui nous alertent sur ce problème d’attractivité, de fidéliser les soignants, cette incertitude liée à l’épidémie alors que notre système de santé est en crise profonde […]. Le sujet c’est une perte de sens, une fatigue que l’on peut comprendre mais derrière cette fatigue, une démotivation face à un hôpital qui va de crise en crise. Il faut passer du colmatage auquel on assiste depuis 15 ans à un vrai New Deal pour l’hôpital ». Il oublie que les responsables « du colmatage » on été et sont les amis politiques des différents présidents de la FHF (de droite comme du PS) qui ont approuvé et mis en place les politiques dévastatrices de l’hôpital public notamment avec les lois Bachelot (Sarkozy), Touraine (Hollande), Buzyn (Macron)
Des témoignages édifiants
Les soignantEs du CHU de Besançon interrogés par France 3 sur leurs conditions de travail racontent le vécu de tous les hôpitaux publics. Une aide-soignante raconte : « Ce qu’on vit tous les jours dans les services, c’est tellement fatigant, déshumanisant, pour les patients et pour nous… On voit depuis plusieurs années que les lits ferment, ce qui surcharge les lits qui restent, et qui épuise le personnel. On est dans un cercle vicieux […]. Le personnel est épuisé, physiquement, psychiquement. Le covid nous a demandé beaucoup d’effort, beaucoup d’adaptation et on ne peut plus tenir, on ne tient plus. Les gens sont épuisés. […] On n’a pas été entendus, et malheureusement, ce sont les patients qui en payent le prix. […] Beaucoup de gens quittent l’institution de l’hôpital parce qu’ils sont désabusés, et ce qu’ils imaginaient de leur profession ne ressemble pas à la réalité des faits : une surcharge de travail quotidienne, pas de temps pour s’occuper des gens, pas l’humanité qu’ils attendaient et donc ils vont voir ailleurs. »
Un médecin membre du collectif inter-hôpitaux est indigné : « Quand on entend son ministre de la Santé qui ment en permanence sur les plateaux télé, dans les interviews, en disant qu’il n’y a pas de suppressions de lits à l’hôpital, alors qu’au CHU de Besançon, il y a une centaine de lits qui ont été fermés à l’hôpital, c’est juste insultant. »
Une catastrophe imminente ?
En septembre 2020, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) rappelait que 27 000 lits avaient déjà été supprimés depuis 2013 et annonçait la fermeture de 5 800 lits « d’accueil en hospitalisation » et que les 387 000 lits restants ne sont pas tous occupés en raison du sous-effectif des hôpitaux. En octobre 2021, une étude dirigée par Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, annonce que 20 % des lits sont fermés dans les CHU en raison du manque de personnel soignant. Ces chiffres sont confirmés à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP). Un exemple : le chef du service neurologie de l’hôpital Bichat à Paris dénonce les difficultés d’accès aux soins : « Mon service compte 28 lits et 24 infirmières. Sur les 28 lits, quatre sont ouverts à l’heure actuelle. Et sur les 24 infirmières, six sont présentes […], c’est une catastrophe. »
Le ministre de la Santé Olivier Véran a fini par reconnaître que « beaucoup de nos soignants sont épuisés par la charge mentale et le rythme de travail de la crise » mais il affirme qu’il va « inverser la vapeur » grâce à la suppression du numerus clausus en médecine et l’augmentation du nombre de places dans les écoles d’infirmières et d’aides-soignantes. Encore faudrait-il que le nombre de professionnels formés réponde aux besoins, ce qui n’est pas le cas, et surtout que les professions hospitalières soient attractives par les salaires et les conditions de travail, ce qui est encore moins le cas ! La solution miracle de Véran : Pôle emploi devra repérer les soignantEs qui se sont inscrits pour une reconversion professionnelle et leur demander lors d’un entretien de retourner à l’hôpital. Ça tiendrait du gag s’il ne s’agissait d’un sujet aussi grave.
Les directeurs sont plus réalistes : 82 % estiment que la situation actuelle des hôpitaux est plutôt (64 %) ou très (17 %) mauvaise. Les directeurs d’établissement de taille moyenne (400 à 500 lits) sont 95 % à exprimer une réponse négative. Leurs préoccupations sont la santé financière de leur établissement (69 %), la sécurité sanitaire à l’hôpital (61 %), la conduite des restructurations (59 %), la gestion des 35 h (51 %).
La gravité de la pénurie médicale en psychiatrie hospitalière s’exprime par de nombreuses alertes des EPSM dénonçant leur « extrême pénurie médicale ». L’Union syndicale de la psychiatrie (USP) a publié un communiqué faisant part de « l’absolue nécessité de moyens humains et matériels massifs dans la psychiatrie publique pour permettre un accueil et une prise en soins dans des conditions respectant la dignité des patients et de leurs familles »
L’impératif de la grève jusqu’à la satisfaction des revendications
Un constat clairvoyant est exprimé par une pédiatre de l’hôpital de Versailles : « Nous sommes aujourd’hui à la croisée de deux chemins : soit le politique décide d’abandonner l’hôpital public, soit il prend enfin le problème à bras le corps et engage une réforme de fond (financement, recrutement, gouvernance) qui garantira un accès aux soins pour tous de qualité ».
Mais cela nécessite de construire un rapport de forces élevé. Les grèves n’ont pas manqué ces derniers mois : grèves catégorielles (infirmiers anesthésistes, sages-femmes, ambulanciers) ; grèves de services (urgences...) ; grève de tout l’hôpital (Édouard-Herriot à Lyon), journées d’action à l’initiative de plusieurs syndicats, mobilisations contre le pass sanitaire... Cependant le gouvernement n’a pas cédé. L’appel à la grève du 4 décembre et à une manifestation à Paris et dans des villes et régions pourrait être l’amorce de la construction d’une grève générale de hospitaliers prenant appui sur un soutien important de la population... jusqu’à ce que le gouvernement cède.