En France, la 5e vague est maintenant un fait certain, un fait massif : pendant les six semaines précédant le dimanche 28 novembre, le taux d’incidence a connu la même augmentation rapide qu’au début de l’été dernier, et aucune inflexion de la pente n’est perceptible qui laisserait espérer que cette phase ascendante soit près de s’arrêter.
Pour dire les choses simplement : le nombre de contaminations va continuer d’augmenter, malgré la vaccination de près des trois quarts de la population française. Comment en est-on arrivé là ? Plusieurs facteurs essentiels sont à prendre en considération :
1 – Le foyer principal de l’épidémie est de nouveau l’Europe, et dans tous ces pays du continent c’est le variant delta, particulièrement contagieux, qui est ultramajoritaire.
2 – On estime que, pour ce variant, le taux de reproduction de l’infection, le fameux R0, est de l’ordre de 6 (c’est-à-dire six personnes infectées pour une personne infectante), taux qui pour les personnes vaccinées n’est réduit que de moitié : R0 = 3 en cas de vaccination).
3 – Les 25 % de la population non vaccinés sont certes plus ou moins exclus des restaurants et des lieux culturels, mais ils continuent d’aller à l’école, au travail, dans les transports (on ne saurait le leur reprocher !), il y a donc tout le réservoir humain disponible pour que le virus circule chez tout le monde, mais plus vite encore du fait des personnes non-vaccinées. Parmi elles, les enfants, qu’on ne vaccine qu’à partir de 12 ans (mais un quart de la tranche d’âge 12-19 n’est pas vacciné), alors que certains pays ont pris la décision de vacciner tous les enfants d’âge scolaire, dès cinq ans.
4 – Les « mesures barrières » sont de moins en moins respectées, on s’est déshabitué avec soulagement de ces outils, gel, distances, masques, utiles pour limiter la propagation du virus, qui reviendront forcément à l’ordre du jour dans la période qui s’ouvre.
Le compteur macabre des décès est reparti à la hausse
Avec le décalage de temps habituel, les hospitalisations, les transferts en réa et les décès connaissent la même progression rapide. Et le compteur macabre des décès est reparti à la hausse. Et c’est ainsi dans tous les pays d’Europe, pour certains déjà de façon dramatique, notamment à l’est du continent, où le taux de vaccination est le plus faible.
Car la seule bonne nouvelle dans le tableau, c’est l’efficacité protectrice des vaccins : quoiqu’ils n’empêchent pas la contamination, ils permettent de réduire radicalement la gravité moyenne des infections, ce qui se traduit par un phénomène mesuré aussi bien aux États-Unis qu’en France : le nombre très minoritaire de vaccinés chez les personnes hospitalisées en réa et parmi les décès, d’un facteur 7 à 12 au décompte « brut » (mais comme les personnes vaccinées sont trois fois plus nombreuses que les non-vaccinées, d’un facteur 20 à 30 en réalité).
Un autre élément est également frappant : l’inégalité régionale, que l’on raisonne à l’échelle du quartier ou à celle des continents. Et, pour les comparaisons dont on dispose, l’intensité de l’épidémie et le tribut payé sont liés :
1 – aux données économiques : plus on habite dans une communauté défavorisée, plus l’épidémie est active ;
2 – au niveau éducatif : plus on est élevé dans l’échelle culturelle, plus on est protégé ;
3 – aux perceptions politiques : plus on se sent « exclu du système », plus on est à risque d’être contaminé.
Tous ces liens en cachent évidemment d’autres : l’accès à l’information, et le crédit qu’on lui apporte ; l’accès à la vaccination ; la possibilité d’éviter la promiscuité ; les comportements à risque…
La situation antillaise et guyanaise illustre bien la complexité de ces rapports : le dispositif sanitaire est sous-développé par comparaison à la « métropole » et aux besoins ; la méfiance face à l’État, héritage direct de la domination coloniale – toujours pas morte ! – donne prise à la méfiance vis-à-vis des vaccins ; et l’épidémie submerge le dispositif sanitaire, exposant des soignantEs qui paradoxalement se battent pour avoir le droit de rester à leur poste sans être protégés par le vaccin, ce qui provoque une réponse typique de l’administration coloniale : révocations et envoi de gendarmes !
L’émergence du variant Omicron
En Europe, partout on assiste à deux phénomènes politiques diversement liés : la propagande de groupes d’extrême droite mettant la pandémie sur le compte des étrangerEs, et/ou d’un complot pour aliéner les populations (discours souvent à fort relent antisémite) ; et les réactions contre les mesures qui restreignent l’exercice de libertés publiques, même si ces mesures sont plus ou moins contraignantes selon les pays, dans un désordre absolu qui ne facilite ni leur crédibilité ni leur acceptabilité. Aucune de ces réactions ne donne de perspective pour une politique alternative cependant, parce qu’aucune n’est fondée sur la nécessaire solidarité à l’échelle mondiale.
L’émergence du variant Omicron illustre pourtant à quel point cette solidarité est un élément essentiel pour sortir de cette pandémie : ce variant est probablement originaire d’Afrique du Sud, un des pays du monde où l’infection par le VIH est la plus prévalente, et c’est la cohabitation à long terme entre immunodépression et activité du coronavirus qui y a favorisé l’émergence de nombreuses mutations, à l’origine de ce nouveau variant. Il est donc urgent, plutôt que d’accuser l’Afrique du Sud, de lui donner les moyens, comme elle le réclame depuis le début de la pandémie, de fabriquer hors brevets de propriété pharmaceutique les vaccins dont elle a besoin pour protéger le plus possible la totalité de sa population, y compris mais pas seulement les personnes infectées par le VIH.
Le prix de l’égoïsme des pays riches
Il est trop tôt pour dire si l’apparition de ce nouveau variant va relancer encore plus fort l’épidémie dans le monde, en Europe, en France. Si les mutations font de ce nouveau coronavirus un objet mal reconnu par les systèmes immunitaires des personnes vaccinées, alors il y aura beaucoup à craindre et tout à refaire, pour arriver peut-être à revacciner régulièrement, comme on le fait pour la grippe chaque année : bref, on n’est pas sorti de l’affaire.
On aura payé le prix de l’égoïsme des pays riches, qui ont protégé les profits de leurs sociétés pharmaceutiques plutôt que de préserver l’humanité d’une poursuite sans fin de la pandémie. Le mot d’ordre reste donc, pour tous les progressistes comme pour touTEs les soignantEs, l’élimination des brevets sur les produits vitaux comme les vaccins et les médicaments essentiels, et la reprise en main de la politique de santé par la communauté, en l’arrachant à la mainmise de Macron, des « comités de défense sanitaire » aux délibérations classées « secret défense », et autres experts coupés du monde réel.
Cela ne nous exonère pas de nos responsabilités comme individus et comme collectifs, notamment de travail : plus que jamais, expliquer comment diminuer les risques, et promouvoir la vaccination, dans les esprits et dans les faits, en la rendant accessible aux personnes socialement délaissées.