Le fonctionnement des entreprises comme Facebook et Google se fonde sur un principe simple : l’usagerE signe un contrat d’utilisation et accepte de produire bénévolement des ressources informationnelles qui participent à la création de la valeur économique. Tout usagerE est donc inscrit dans un rapport de production1. Il/elle cède la maîtrise de ses données personnelles afin de satisfaire des besoins universels : communiquer, être reconnuE, coopérer à des objectifs communs. La signature du contrat d’utilisation implique donc une conversion de l’ensemble des relations, informations, sentiments et même engagements des internautes en une marchandise.
Ce qu’on appelle « web social » a en réalité très peu de social2. L’étiquette est en effet trompeuse : Internet a toujours prévu l’interactivité, via les forums, le réseau Usenet, les Bulletin Board Systems, les chat-rooms, les jeux de rôle en ligne, ce qui est nouveau est précisément l’organisation algorithmique de son exploitation marchande.
L’importance du modèle publicitaire
Cette relation marchande est d’ailleurs de moins en moins dissimulée par les plateformes qui encouragent désormais les usagerEs à devenir influenceurEs, youtubeurEs, instagrammeurEs, à gérer et animer des communautés en ligne en contribuant à la segmentation des publics et à l’optimisation de la production de valeur économique. En contournant le gatekeeping3 des médias de masse, ces figures émergentes peuvent aussi contribuer à produire une information diversifiée, moins standardisées ou critique. Toutefois, la liberté d’expression et d’autopublication et la relative absence de filtres à l’information sont contrecarrées par une logique centrée autour de la vente publicitaire. Comme pour tous les dispositifs socio-techniques complexes, les fondements économiques d’internet influent fortement sur ses usages et ses finalités4. Le fait qu’une grande partie des services informationnels soient financés par la publicité conditionne leur nature ainsi que les conditions matérielles de leur production et commercialisation.
La production de l’information en ligne s’inscrit donc dans dans un système plus global où la véritable finalité n’est pas d’informer mais de gérer la demande dans le cadre du processus d’accumulation du capital.
Les nouveaux info-médiaires
L’objectif de l’oligopole d’Internet devient alors celui de contrôler la fonction d’infomédiation : l’ensemble des segments d’activités et des dispositifs numériques qui permettent la mise en contact des internautes avec les autres ainsi qu’avec tout type d’informations en ligne. L’enjeu est très politique car l’infomédiation à grande échelle bouleverse la distribution du pouvoir dans la société et l’économie. Les info-médiaires créent donc de la valeur en appariant une offre disponible avec la clientèle la mieux disposée à consommer ce bien. C’est un marché structurellement porté vers l’oligopole car sujet à de fortes externalités et à des effets de réseaux. Dans le domaine de l’actualité, Google et Facebook sont les deux plus gros pourvoyeurs de trafic pour les sites d’information totalisant plus de 75 % du trafic entrant en moyenne en France.5 Tant les éditeurs de presse traditionnels que les médias alternatifs y sont donc soumis en termes techniques et économiques. La multiplication et la diversification des produits et des secteurs marchands semblent s’inscrire dans un mouvement d’uniformisation des formats, des interfaces, des registres expressifs et de mise en relation qui encadrent la production, la diffusion et la circulation des contenus numériques.
L’oligopole détient à la fois l’accès à d’énormes réservoirs de données sur les consommateurs et à des accords favorables avec les principaux producteurs et éditeurs de contenus dont il contribue à reproduire les positions dominantes. C’est précisément cette répétition rythmée et cette unité qui, selon T. W. Adorno et M. Horkheimer, sont à l’origine d’une simplification et d’un lissage du monde social dont on ne voit plus les aspérités6.
La puissance du capitalisme de plateforme n’empêche pas toutefois l’émergence de formes contestataires et émancipatrices d’appropriation de la technique.
Une autre société de la technique est toujours possible !
- 1. Antonio Casilli, Digital Labor : travail, technologies et conflictualités. Qu’est-ce que le digital labor ?, Éditions de l’INA, 2015, pp.10-42.
- 2. Christian Fuchs, Social Media, a critical introduction, Sages Publications, 2017 (première édition 2014).
- 3. Terme utilisé pour indiquer le mécanisme qui filtre l’information journalistique dans les médias traditionnels.
- 4. Terme utilisé pour indiquer le mécanisme qui filtre l’information journalistique dans les médias traditionnels.
- 5. Nikos Smyrnaios, Les GAFAM contre l’Internet, une économie politique du numérique, INA, 2017.
- 6. Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, La dialectique de la raison, Gallimard, 1974 (première édition 1944).