Des exceptions qui confirment la souplesse de la « règle ».
La loi du 9 décembre 1905 reconnait à touTEs les citoyens la liberté de conscience et d’expression de leurs convictions « dans les limites de l’ordre public » et l’égalité entre tous quelles que soient celles-ci. Elle définit un État laïque par la séparation de l’État et des cultes. Cependant, des exceptions à cette loi vont perdurer, liées à l’histoire, mais surtout dans le cadre de la politique coloniale française. Elles seront aussi une des raisons de rébellion des populations colonisées.
En Alsace-Moselle, la loi de 1905 jamais mise en application
De 1871 à 1918, l’Alsace et la Moselle deviennent allemandes. La loi de 1905 ne s’y applique donc pas et... ne s’y applique toujours pas aujourd’hui dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, régis par une loi de 1924 qui confirme ce droit local, issu du régime du concordat modifié par des textes allemands. Ce droit reconnaît quatre religions : catholique, réformée, luthérienne et israélite. Leurs diverses institutions sont des établissements publics de culte, financés par l’argent public, gérés par des ministres du culte fonctionnaires, certains nommés par le ministre de l’Intérieur. L’enseignement religieux y est donné dans les établissements publics, ce qui est interdit partout ailleurs. Mais l’islam, deuxième religion en France, avec plus de 100 000 fidèles résidant dans ces départements, ne bénéficie d’aucune de ces dérogations. Saisi de cette inégalité flagrante entre les cultes, le Conseil constitutionnel a cependant jugé que le droit en Alsace-Moselle est conforme à la Constitution puisque la loi de 1924 qui le fonde ne cite que quatre religions…
Dans les colonies, des applications différenciées
L’article 43 de la loi de 1905 stipule que « des règlements d’administration publique détermineront l’application de cette loi à l’Algérie et aux colonies ». Ce qui permet des dérogations à la loi de 1905 selon les besoins du colonisateur. Si en Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion et à Madagascar, la loi de 1905 s’est appliquée rapidement, dans l’ensemble des autres colonies les dérogations sont la règle. Ainsi, la Guyane est toujours régie par une ordonnance royale de 1828 qui ne reconnaît que le catholicisme. Les clercs sont des fonctionnaires du département. Et le conseil Constitutionnel a jugé le 2 juin 2017 la situation conforme à la Constitution…
En 1939, les décrets-lois de Mandel, ministre des Colonies, vont légaliser les non-applications de la loi de 1905 dans les colonies et consolider l’apport de la religion catholique à la politique colonisatrice de l’État. Ces décrets s’appliqueront en Polynésie française, à Mayotte, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie et dans les régions de l’Afrique équatoriale française (AEF) et de l’Afrique occidentale française (AOF). Les missions religieuses catholiques vont continuer à bénéficier du financement public pour réaliser une œuvre dite civilisatrice faite de culture, scolarité, aide médicale et sociale. Elles sont un outil majeur de la colonisation, une des formes du contrôle et du maintien de l’ordre colonial. Elles participent grandement à la négation-destruction des histoires et des cultures des peuples autochtones. Et diffusent l’idée de la suprématie de la culture blanche dominante.
En Algérie, l’état d’exception permanent
Le décret du 27 septembre 1907 va codifier les exceptions à l’application de la loi de 1905 nécessaires à l’État colonialiste en Algérie.
Plus qu’ailleurs les missions catholiques vont agir sur un territoire peuplé de musulmanEs jugés incultes, rebelles et incontrôlables. Mais surtout un contrôle politique et administratif de la religion musulmane va être institué. Car l’islam est un élément constituant, déterminant de l’Algérie colonisée, que le colonisateur doit mater. Dans la continuité de la domination ottomane, les mosquées vont rester propriété de l’État et l’islam un domaine réservé de celui-ci. Le gouverneur général, sous l’autorité du ministre des Colonies, réorganise la religion musulmane en 95 circonscriptions dirigées par un clergé qu’il choisit et impose sur deux critères : leur influence sur leurs coreligionnaires et leur loyauté à la France. Il forme ainsi un clergé officiel, un clergé d’État subventionné à la hauteur de sa soumission aux intérêts de l’État français.
Cette ingérence politique et administrative hostile aux traditions religieuses des musulmanEs va devenir un ferment de la contestation anticoloniale, en particulier dans le mouvement des oulémas et dans certaines confréries. Le PC algérien exigera la fin du code de l’indigénat, la séparation des cultes, un État indépendant et laïque.
L’état d’urgence décrété en 1955 va particulièrement être violent contre les musulmanEs, la liberté de culte étant quasiment supprimée pour « cause de troubles à l’ordre public ». Les mouvements nationalistes, y compris le FLN, s’appuieront sur la conscience aiguë du traitement injuste, raciste, méprisant auquel sont soumis les croyantEs musulmans et au-delà l’ensemble du peuple algérien pour arracher l’indépendance.