En 7 ans, depuis la loi vaillant sur la sécurité quotidienne, votée fin 2001 après les attentats du 11 septembre, le dispositif législatif s’est considérablement durci. En effet, une vingtaine de lois ont été votées allant toutes dans le même sens : pénalisation à outrance de tous les délits de la misère, mise à l’écart définitive d’une partie de la population, criminalisation de la jeunesse, des sans-papiers, de ceux et celles qui résistent, fichage de la population, etc.
Les lois sécuritaires ont deux objectifs : contenir les populations inutiles pour l’ordre économique, les classes non laborieuses, considérées comme dangereuses (chômeurs, jeunes des cités, immigrés, mendiants, prostituées, nomades) et traiter pénalement les questions sociales en mettant la justice aux ordres.
Des années de discours sur « l’insécurité »de la droite mais aussi du parti socialiste ont permis le vote de ces lois, sans réelles mobilisations, hormis celles des professionnels concernés et des associations de défense des droits.
Il nous semble utile de revenir sur l’ensemble de ce dispositif pénal qui a de réelles conséquences sur la vie de centaines de milliers de personnes. Nous savons que la justice de ce pays est une justice de classe, et nous sommes sans illusion sur l’attitude des magistrats dont la plus grande partie est issue des classes aisées ou privilégiées. cependant, les juges et procureurs qui ont une autre conception de la justice, et il en existe, ont de moins en moins de marge de manœuvre, notamment avec le renforcement du lien entre le parquet et la chancellerie. Les procureurs des tribunaux qui ne font pas appel lorsque les peines plancher n’ont pas été appliquées sont convoqués par la chancellerie. Les juges des libertés qui ne réclament pas assez de détention provisoire sont déplacés d’office vers des juridictions de moindre importance, comme les postes de juge aux affaires familiales. Par de constantes pressions, la chancellerie essaye de soumettre toujours un peu plus l’autorité judiciaire, grignotant un peu plus chaque jour le peu d’indépendance qui reste à la justice.
Trois lois sur la récidive depuis 2005
À chaque fait divers, le gouvernement répond par une nouvelle loi répressive. C’est ce que le Syndicat de la magistrature appelle à juste titre le « populisme pénal ».
Dernièrement, le meurtre d’une femme par une personne qui avait purgé sa peine de prison, suite à sa condamnation pour viol, a servi de prétexte à Sarkozy et ses sous-fifres Hortefeux et Alliot-Marie pour faire voter la troisième loi sur la récidive depuis 2005... Déjà présentée par Rachida Dati en novembre 2008, elle sera discutée au Parlement en novembre, pour y inclure notamment la castration chimique obligatoire pour certains condamnés. Or, en France, il n’y a que 1,6 % des auteurs de crimes sexuels et 3,4 % des auteurs de délits de mœurs qui récidivent.
Lors de la détention, le soin ou le suivi psychologique des auteurs d’agressions et de crimes sexuels sont devenus plus qu’aléatoires car les postes de médecins traitants et de psychiatres sont de moins en moins pourvus dans les prisons. La castration chimique obligatoire n’est pas la solution et il est illusoire de penser qu’une société puisse être sans risque, sauf à souhaiter que toute personne susceptible d’être dangereuse soit enfermée à vie.
Les deux premières lois sur la récidive ont été adoptées l’une en décembre 2005 et l’autre en août 2007, avec la mise en place des peines plancher. Pour les majeurs, en cas de récidive légale (répétition d’un délit ou d’un crime identique ou appartenant au même groupe que celui déjà jugé), le juge doit appliquer un minima de peine d’emprisonnement (à l’exclusion de toute autre alternative) dès le deuxième délit, sauf à justifier que le condamné présente des circonstances exceptionnelles d’insertion. Dans les procédures d’urgence, les juges qui n’ont ni le temps ni les moyens de prédire l’absence de récidive appliquent systématiquement les peines plancher. Cela peut donner deux ans de prison pour détention de 30 grammes de stupéfiant ou trois ans pour un vol de parapluie.
Pour les mineurs, les peines plancher s’appliquent également, quel que soit l’âge du jeune (de 13 à 18 ans). À partir de 16 ans, les mineurs peuvent être condamnés comme des majeurs. L’excuse de minorité qui divise par deux la peine encourue ne s’applique plus à partir de 16 ans, sauf exception fortement justifiée.
Toutes les études scientifiques montrent que la récidive est toujours plus importante après avoir purgé la totalité d’une peine de prison qu’après une peine alternative à la détention ou une sortie de détention anticipée et préparée.
Ces lois sur la récidive font de la prison le modèle unique de la peine, au détriment des peines alternatives ou des aménagements de peine.
Conséquence sur les prisons
L’augmentation de la détention est considérable. On comptait au 1erjuillet 64 250 détenus pour 51 000 places. Le taux moyen de surpopulation carcérale est de 140 %.
La France est condamnée régulièrement pour les conditions dégradantes de détention. Le chiffre des suicides en prison est terrible : 110 depuis le début de l’année.
La prison reste une zone de non-droit et la récente loi pénitentiaire n’a pas proposé de réelles améliorations quant aux droits des détenus et à leur dignité.
Projet de loi sur la justice des mineurs
La suppression de l’ordonnance de 1945, annoncée de façon très médiatique au moment de la sortie du rapport Varinard sur la justice des mineurs, est plus que jamais d’actualité pour le gouvernement. Le projet de code pénal de la justice des mineurs a été rendu public et devrait être soumis et adopté d’ici fin juin.
Ce code constitue une profonde régression et un projet dangereux pour la jeunesse. Il met en place une justice parfois plus sévère pour les mineurs que pour les majeurs : la sanction, la peine, la condamnation deviennent la règle et l’éducation un simple habillage. La volonté d’éduquer est remplacée par la volonté de punir. Au lieu de miser sur l’éducation, c’est l’exemplarité de la sanction qui est mise en avant.
Sans attendre ce nouveau code, la philosophie éducative de l’ordonnance de 1945 est déjà mise à mal par la mise en place des centres fermés pour mineurs, l’ouverture des Établissements pénitentiaires pour mineurs, la suppression massive des foyers éducatifs et des centres d’insertion de la Protection judiciaire de la jeunesse.
La suppression du juge d'instruction
Le projet de loi sera débattu d’ici juin 2010. Le juge d’instruction sera remplacé par un juge de l’enquête et de de la liberté qui aura comme seule compétence le contrôle sur les enquêtes pénales. Ce sont les procureurs liés au ministre de la Justice, donc au pouvoir politique, qui auront le pouvoir d’instruire. Si les juges d’instruction aujourd’hui s’occupent de 5 % des affaires pénales, ils instruisent systématiquement en matière criminelle et peuvent notamment instruire sur toutes les affaires mettant en cause l’État en matière de santé publique, de dossiers environnementaux, de finances publiques et de corruption.
Supprimer les juges d’instruction, c’est de fait supprimer l’instruction liée aux affaires politico-financières ou aux scandales remettant en cause le rôle de l’État. Le procureur étant aux ordres du pouvoir politique, toute affaire « sensible » pourra être étouffée. C’est un des objectifs de cette réforme.
Les principales lois sécuritaires adoptées depuis 2001 (hors récidive)
Loi Vaillant du 15 novembre 2001 sur la « sécurité quotidienne »
Délit de fraude dans les transports, fouilles des véhicules et contrôles d’identité, témoins anonymes.
Loi Perben 1 du 9 septembre 2002 sur les « orientations de la justice »
Juges de proximité, extension des comparutions immédiates, référé détention, centres fermés pour les mineurs et comparutions à délais rapprochés, sanctions éducatives à l’âge de 10 ans.
Loi Sarkozy du 18 mars 2003 sur la « sécurité intérieure »
Délits de pénalisation de la pauvreté (mendiants, prostituées, nomades), fouilles et contrôle d’identité, fichiers, augmentation des pouvoirs policiers.
Loi sur l’immigration du 26 novembre 2003
Augmentation de 12 à 32 jours pour le délai de rétention des sans-papiers, maintien de la double peine.
Loi sur l’asile du 10 décembre 2003
Liste des pays sûrs (permet le rejet automatique de la demande d’asile), asile territorial, refus de l’asile si le renvoi est possible dans une partie sûre du territoire d’origine, rejet possible si la police juge la demande d’asile manifestement infondée, Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et commission de recours sous autorité conjointe des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères.
Loi Perben 2 du 9 mars 2004 sur la « criminalité organisée »
Augmentation des possibilités de détention provisoire (saisine directe par le parquet du juge des libertés et de la détention), instauration du système des repentis, pouvoirs policiers considérables en garde à vue pour de nombreux délits (séquestration, vol, coups et blessures, dégradation, recel) et crimes en bande organisée (72 h sans avocat, perquisitions domiciliaires et enquête préliminaire, écoutes, poses de micro et de caméra autorisées; « plaider coupable » (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité).
Loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance
Les populations ciblées sont les personnes en difficulté économique, familiale ou sociale. De façon scandaleuse, le lien est créé entre difficultés sociales, éducatives ou matérielles et délinquance, créant une forme de « présomption de la délinquance ». Le secret professionnel est mis à mal car la loi prévoit que « tout professionnel de l*faction sociale qui intervient au profit d*fune personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles en informe le maire ».
Loi de février 2008 « relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental »
À la fin de leurs peines, les détenus jugés dangereux pour la société, condamnés à quinze ans de réclusion ou plus, seront placés dans des « centres socio-médico-judiciaires » dont l’encadrement sera assuré par l’administration pénitentiaire. Les criminels concernés par cette décision seront envoyés vers ces centres sur l’avis d’une commission pluridisciplinaire (médecins, magistrat, préfet, responsables pénitentiaires) qui renouvellera ou non sa décision une fois par an. À l’origine destinée aux seuls pédophiles récidivistes, la loi a été élargie à tous les condamnés pour crimes « odieux » à la dedu gouvernement. Cela signifie de fait un enfermement à vie pour certains, notamment les prisonniers politiques contre lesquels s’exercent la vengeance d’État.
Loi de juillet 2009 sur les bandes et les cagoules
Fichage de la population. Plus de 40 fichiers ont été recensés et les deux plus connus sont le Système de traitement des infractions constatées (Stic) et le Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG). Le Stic contient toutes les personnes ayant été entendues (comme témoin ou comme suspect) par la police. Le seul Stic recensait 5 552 313 personnes mises en cause et 36 500 000 procédures en décembre 2008, avec un taux d’erreur impressionnant puisque seules 17 % des fiches étaient exactes. Refuser de se soumettre au prélèvement d’ADN, devenu de plus en plus systématique dès qu’une personne est mise en cause, est passible d’une peine de prison !
Alors que la mobilisation, il y a un an, avait permis de faire reculer le gouvernement sur le fichier Edvige, il a profité des événements de Poitiers pour publier au Journal officiel la création de deux nouveaux fichiers, par décret du 18 octobre. Le premier fichier est destiné à « prévenir les atteintes à la sécurité publique » : il cible les bandes, les hooligans et les groupuscules. Le second est destiné à « collecter et stocker des informations sur les personnes postulant à un emploi dans la police, la gendarmerie ou dans des sites « sensibles », comme les aéroports et les centrales nucléaires ». Les mineurs peuvent être inscrits dans la première base de données dès 13 ans, et à partir de 16 ans dans la seconde. Ces deux nouveaux fichiers constituent une atteinte supplémentaire aux libertés publiques et ne fait que confirmer l’acharnement du gouvernement à transformer la jeunesse en classe dangereuse.
Les propositions du NPA...
• Abrogation de toutes les lois sécuritaires et suppression du fichage de la population.
• En finir avec le droit pénal d’exception, notamment en supprimant les cours d’assises spéciales.
• Dépénalisation des infractions suivantes :
le séjour irrégulier des étrangers et l’usage de stupéfiants. D’une façon plus générale, nous sommes pour la légalisation du cannabis.
• Développer les alternatives à l’incarcération afin que l’enfermement devienne l’exception.
• Restaurer l’indépendance de la justice en coupant le lien entre la chancellerie et le parquet.
• Suppression des parquets généraux, courroie de transmission entre le ministre et les parquets.
• Arrêt des deux projets de réforme sur les juges d’instruction et la justice des mineurs.