C’est tout le paradoxe : une élection sans réelle campagne et considérée comme sans enjeux semble en mesure de produire un nouveau panorama politique. Quels enseignements peut-on en tirer ?
-
Un suffrage censitaire
Les sondeurs l’avaient anticipé, les commentateurs l’ont abondamment commenté, mais sans en tirer toutes les conclusions politiques.
C’est pourtant la principale caractéristique de cette élection : 60 % des électeurs ne se sont pas déplacés, marquant leur désintérêt et leur rejet d’une construction européenne libérale et antidémocratique. Comment ne pas faire le lien avec le bilan du vote de 2005 sur le projet de Constitution européenne, rejeté en France et aux Pays Bas, réintroduit sous la forme du Traité de Lisbonne et imposé par la voie parlementaire avec la complicité du PS ? Pourquoi s’impliquer dans une campagne, puisque quand le peuple s’en empare, sa souveraineté est niée ?
Dès lors, l’abstention sonne comme une sanction : les puissants ont renoncé à chercher la caution de la population pour légitimer l’Union européenne telle qu’elle est bâtie. La construction européenne s’est toujours faite dans le dos des peuples. Cette fois, elle est privée de toute légitimité démocratique.
Mais il y a plus. On se souvient qu’il y avait en 2005 dans le Non en France, au-delà de la radicale discontinuité politique entre un non de gauche antilibéral et anticapitaliste et un non de droite nationaliste et anti-turc, une expression de classe qui s’était très nettement révélée dans la sociologie du vote. Cet aspect se retrouve dans les frontières entre abstentionnistes et électeurs, ces derniers étant plus vieux, plus diplômés, appartenant aux classes plus aisées. Ce sont très majoritairement celles et ceux qui souffrent le moins de la crise qui se sont déplacés, l’électorat du oui en particulier, qui s’est prononcé pour des listes favorables à une Europe libérale. Il est toujours difficile d’interpréter l’abstention. Il faut se garder de toute conception simpliste et unilatérale. On peut cependant dire à coup sûr que les victimes de la crise, en ne se déplaçant pas, ont indiqué à quel point elles ne considéraient pas l’Union européenne comme un moyen de les en protéger. Elles marquent donc leur rejet du système en refusant leur confiance aux institutions qui le gèrent et qui sont non une partie de la solution mais une partie du problème.
Le résultat est là : le scrutin s’est déroulé au suffrage censitaire et plus que jamais cette Europe est illégitime, ce n’est pas la nôtre !
-
Crise des social-démocraties et renforcement des droites
Les social-démocraties européennes ont à panser leurs plaies après la terrible sanction du 7 juin.
Elle a frappé plus durement lorsque les partis sociaux-démocrates étaient aux affaires, sans épargner, par exemple, le PS en France. Mais il va surtout leur falloir se pencher sur les raisons profondes qui les ont amenées où elles sont aujourd’hui. C’est le piège que la social-démocratie européenne s’est elle-même construit en s’inscrivant en plein dans la cogestion de la construction européenne, qui les broie aujourd’hui, en donnant une prime nette à la droite et à l’extrême droite. La construction européenne telle qu’elle est ne peut donner aucune légitimité à une social-démocratie qui a fait le choix de ne pas s’y opposer.
Cet aspect se cumule aux effets de la crise pour expliquer le renforcement des droites. On aurait pu penser que la crise produirait un rejet du système qui chercherait à s’exprimer sur le terrain électoral. C’est ce que nous ne sommes que très partiellement parvenus à faire, puisque le mécontentement s’est plutôt retrouvé dans l’abstention. Mais au-delà, la crise produit aussi des peurs et des réflexes individualistes qui favorisent la droite. D’autre part, la nature de l’Union européenne et de sa construction et la crise entraînent la mise en place ou l’enracinement, à la droite de la droite, de formations politiques qui font leur miel de ces peurs pour désigner comme cibles du mécontentement populaire les Turcs, les musulmans ou les immigrés. En France en revanche, le Front national n’a pas surmonté sa crise et le reflux semble confirmé, même si l’addition de son score avec celui de Libertas dénotent la prégnance d’une phénomène politique inquiétant.
Reste, en France mais pas seulement, la notable percée des Verts. Celle-ci peut donner lieu à de multiples interprétations. On ne peut évidemment nier qu’elle exprime un saut à la fois qualitatif et quantitatif dans la prise de conscience des menaces immédiates qui pèsent sur la planète. En cela le score des Verts, dans un pays qui a eu traditionnellement tendance à relativiser ces questions, peut être considéré comme un fait positif. Il faut noter également que les européennes favorisent ce type de bulle électorale, et les progrès dans la prise de conscience ne suffisent pas à expliquer le décalage entre la percée du 7 juin et le score inférieur à 2 % de Dominique Voynet en 2007. Qu’adviendra-t-il de cette bulle ? Il y a eu dans le passé récent des succès de cette ampleur qui n’ont pas permis la construction d’une influence politique sur la durée. D’autre part, la percée des Verts s’inscrit dans le cadre de la concurrence au centre qu’ils se livrent avec le PS et le Modem, la sociologie des votes l’illustre. Les Verts en ont sans conteste remporté la deuxième manche.
Mais le score des Verts pose un problème sérieux pour l’avenir des revendications écologiques. Bien qu’ayant réussi à capter une part de la radicalité en apparaissant hors système, grâce au trio Cohn-Bendit/Joly/Bové, Europe Ecologie est constituée sur la base de la fraction la plus libérale des écologistes, ceux qui refusent de faire de l’écologie l’objet d’une réelle confrontation politique et récusent le fait qu’il n’y a pas d’écologie opératoire si elle n’est assortie d’une contestation radicale du système capitaliste.
Ce bluff nous pose un défi sérieux, celui de parvenir à affirmer toujours plus haut la nécessité absolue d’une écologie radicale, non pas distincte mais directement liée à la question sociale.
La recomposition politique est dans l’air, avec l’éventualité d’un scénario à l’italienne dans lequel s’inscriraient toutes les formations, du centre à la gauche de PS. Ce débat va donc être posé à l’ensemble des forces politiques à gauche.
-
A la gauche du PS
Au terme d’une campagne de terrain essentiellement menée par un Mélenchon à l’initiative politique et adossée sur un solide appareil militant et financier, le PCF parvient à maintenir son influence (comparée à celle de 2004). Il a mobilisé l’essentiel de son électorat, plus âgé et structuré que celui du NPA, et, grâce aux effets de seuil produits par la loi électorale, double le nombre de ses élus. Il ne rencontre cependant pas de dynamique électorale.
La question de l’avenir lui est directement posée. Si la campagne a confirmé des divergences qui l’opposent au NPA, notamment sur le positionnement dans les mobilisations sociales, l’immédiat après-élection indique surtout à quel point la raison essentielle qui a conduit la direction du PCF à refuser un accord avec le NPA, la question de l’indépendance vis-à-vis du PS, subsiste. Depuis les déclarations visant à constituer un trait d’union entre PS et NPA aux injonctions faites à ce dernier concernant la « prise de responsabilité » dans les exécutifs que le PCF cogère avec les sociaux-libéraux, tout indique que les sujets de discussion ne vont pas manquer dans la séquence qui s’ouvre.
Dans cette élection, le NPA n’avait pas la partie facile. Encore en construction, très impliqué au premier trimestre dans les mobilisations sociales, il a directement subi le ressac qu’elles ont connu ensuite, se trouvant en difficulté alors que sa vocation était de les relayer sur le champ électoral. Touché de plein fouet par l’abstention qui concernait directement les couches susceptibles de voter pour lui, soumis jusqu’à l’avant-veille du scrutin à une forte hostilité venue de différents bords et relayée par les médias, il résiste pourtant sur le plan électoral et s’affirme comme une force politique nationale, sans que son électorat soit encore stabilisé. Il faut aborder l’ensemble des questions y compris concernant le profil de la campagne. Si nous avions raison de mettre la crise au cœur des enjeux, sans doute aurait-il fallu affirmer davantage la dimension écologiste radicale qui nous définit, et s’adresser un peu plus, une fois l’abstention posée comme un phénomène incontournable, à ces électeurs qui avaient décidé de se déplacer et qui étaient réceptifs à la manière de poser les problèmes à l’échelle européenne. Il faut également parvenir à reprendre l’initiative sur le terrain de l’unité, monopolisé par le Front de Gauche qui est parvenu à masquer l’existence de notre propre offre unitaire. Mais l’enjeu majeur est lié à notre capacité à définir en positif un projet politique crédible, la difficulté étant, nous le savons, que l’alternative au plan gouvernemental n’est pas exactement à portée de main.