Interview de Zbigniew Kowalewski qui était délégué au 1er congrès de Solidarnosc, membre de la direction de la région de Lodz et animateur du réseau des conseils d’autogestion ouvrière. Il est militant du mouvement social en Pologne et de la IVe Internationale.
La Pologne est l’exemple frappant d’une énorme contradiction. C’est le pays où il y a eu le plus de révoltes et révolutions ouvrières contre la bureaucratie dite communiste depuis 1956, et qui ont failli, en 1980-1981, la renverser et instaurer un pouvoir des travailleurs. Pourtant, la contre-révolution capitaliste l’a emporté. Un ancien dirigeant de Solidarnosc et deux dirigeants des syndicats actuels nous parlent de ce bilan et des luttes de résistance actuelles.
Dans le programme de République autogérée, adopté par Solidarnosc en 1981, il n’y avait rien sur la privatisation de l’économie. Pourquoi le syndicat a-t-il adopté ce cours après 1989 ?
Zbigniew Kowalewski : Le 1er Congrès des délégués de Solidarnosc, à l’automne 1981, fut la représentation la plus massive et la plus démocratique de la classe ouvrière dans toute l’histoire du mouvement ouvrier polonais. Dans la résolution historique de ce congrès, on réclamait « la mise en œuvre d’une réforme autogestionnaire et démocratique à tous les niveaux de gestion, et l’instauration d’un nouvel ordre social et économique combinant le plan, l’autogestion et le marché ». On exigeait que l’économie soit basée sur « l’entreprise sociale », c’est-à-dire une entreprise étatique « gérée par les salariés, représentés par un conseil des travailleurs, la direction opérationnelle étant confiée à un directeur choisi par le conseil des travailleurs par voie de concours et responsable également devant ce conseil ». On exigeait aussi « la socialisation de la planification » ; les plans devraient être élaborés non pas bureaucratiquement mais démocratiquement, sous l’angle de la satisfaction des besoins sociaux. Ce programme proclamait sans ambiguïté que « une authentique autogestion des travailleurs constituera la base de la République autogérée ».
Tu étais l’un des principaux militants du très populaire courant pour l’autogestion ouvrière. Peux-tu en rappeler les principaux objectifs ?
Zbigniew Kowalewski : Il n’était pas question de privatiser l’économie, même partiellement ; tout comme il n’était pas question de remplacer l’économie planifiée par l’économie de marché. Ce programme, adopté par Solidarnosc, a été élaboré par un mouvement de masse pour l’autogestion ouvrière, mouvement des conseils de travailleurs, qui se développait de façon très dynamique sous la protection et avec le soutien de Solidarnosc. Ce mouvement et ce programme exprimaient et reflétaient les aspirations des ouvriers vers un contrôle collectif et démocratique, par les travailleurs, sur les principaux moyens de production, lesquels à l’époque étaient nationalisés. Il s’agissait de socialiser une économie étatique, et non de la privatiser et de la redonner aux capitalistes.
Plusieurs années après l’instauration de l’état de siège et la dislocation de Solidarnosc, la direction clandestine – agissant donc, forcément, en dehors de tout contrôle démocratique d’en bas – a abandonné ce programme. Guidée par le principe – dont les effets sont toujours catastrophiques – selon lequel « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », elle a commencé à chercher appui et aide auprès des puissances impérialistes. Pour l’obtenir, il lui fallait renier le programme de lutte pour l’autogestion ouvrière et appuyer le programme de restauration du capitalisme en Europe de l’Est et en URSS prôné par Ronald Reagan. Cette direction avait le choix : soit s’appuyer sur le mouvement syndical et ouvrier international, soit sur Reagan. Elle opta pour la deuxième voie, et ainsi, au lieu d’une République autogérée, elle a choisi le capitalisme.
Penses-tu qu’un mouvement similaire pourrait renaître dans la lutte pour récupérer les entreprises privatisées ?
Zbigniew Kowalewski : Je pense que tôt ou tard les travailleurs polonais, en défendant leurs droits et intérêts, seront obligés d’engager la lutte pour la renationalisation des principaux moyens de production. Le problème clé sera alors de faire que les nationalisations des entreprises se réalisent sous le contrôle des travailleurs, qu’elles ouvrent la voie à la gestion des entreprises par des conseils de travailleurs représentatifs et démocratiques, et à une économie planifiée basée sur les principes d’une planification socialisée. Je suis sûr que, dans ces conditions, les expériences et les propositions programmatiques du mouvement pour l’autogestion ouvrière et de Solidarnosc de 1981 apparaîtront comme une référence historique et une source d’inspiration très importants.
Propos recueillis par Roman Debski