A l’heure où ces lignes sont écrites, il semble que ce que nous avons coutume d’appeler la gauche radicale soit condamnée à aller divisée aux élections régionales. Franchement, nous avons du mal à nous résoudre à cette perspective. Ainsi, dans la situation sociale et politique que nous connaissons, les anticapitalistes et les antilibéraux seraient dans l’incapacité d’unir leurs forces ? Alors que la dérive sans fin du PS vers la droite l’empêche de s’opposer à un gouvernement et à un patronat à l’offensive, déterminés à pousser l’avantage et à imposer, mesure après mesure, l’ensemble de leur feuille de route ? Alors que la population subit chaque jour davantage les effets d’une crise dont elle n’est pas responsable ? Alors que le mécontentement réel peine à se traduire en résistance déterminée et collective face à une politique de destruction qui n’épargne aucun secteur ? Il ne s’agit pas d’une échéance anecdotique. Sarkozy et son équipe veulent en faire un test national qui confirme que le rapport de forces leur est favorable. S’il faut faire en sorte que le pouvoir en place ne dispose pas après ces élections de nouveaux leviers pour poursuivre sa politique du rouleau compresseur, ce qui implique d’empêcher la droite de conquérir les régions, on ne peut s’en tenir là, sauf à penser que le PS rallié au Modem serait soudain en mesure de défendre les intérêts de la population face à la crise. Un pas en avant vers le regroupement de toutes celles et tous ceux qui ne se résignent pas à laisser le capitalisme détruire nos vies, une campagne électorale commune qui pourrait être facteur d’espoir, de confiance, on n’y parviendrait pas ?
Programme de rupture
Si un tel scénario se produit, il faut être en mesure de l’expliquer. En réalité, pour qu’une force crédible se constitue sur le champ électoral, l’unité est absolument nécessaire. Mais, en tant que telle, elle ne suffit pas. La situation exige qu’elle soit en mesure de porter les exigences de la population face à la crise et de proposer, dans le cadre des régions, une orientation réellement alternative à celle du Parti socialiste qui a choisi de gérer ces collectivités sans rompre le moins du monde avec la logique de soumission aux intérêts privés, sans avancer d’un millimètre dans le sens de la répartition des richesses et de la satisfaction des besoins sociaux. On ne peut s’affranchir du bilan des vingt régions gérées par la gauche (et cogérées par le PCF pour seize d’entre elles), non pour se contenter de le dénoncer, mais pour expliquer ce que des élus anticapitalistes et antilibéraux s’engagent à faire dans les conseils régionaux. Du côté du PCF, cela signifierait un retour critique sur le mandat de ses élus sortants, et la volonté de contribuer à un programme de rupture, constitué d’une série de points clés qui construiraient l’ossature d’une campagne commune et de la politique que nous nous engagerions à mettre en œuvre si nous en avions les moyens. La question des alliances ne peut être que subordonnée à ce premier travail.
Ce n’est pourtant pas la logique que le PCF a choisie. Reconnaissons ici que nous avons été surpris par la décision du PCF de partir sans le PS au premier tour dans ce qui semble être une nette majorité de régions. Mais admettons aussi qu’on le serait à moins ! En effet, ce choix s’est plutôt accompagné d’un durcissement des positions de la direction du Parti communiste s’agissant de ses options stratégiques. Tirant un bilan positif de sa participation aux majorités de gestion avec le PS, s’engageant à la reproduire partout, comment peut-il justifier sa présence au premier tour… en concurrence avec le PS ? D’autant que dans bien des cas, ce choix va vraisemblablement signifier une perte sèche d’élus ! Ce dernier aspect laisse d’ailleurs planer quelques doutes sur les choix finaux du PCF, alors que les premières rumeurs de ralliements d’élus PCF à des listes PS dès le premier tour commencent à circuler. En attendant le verdict final, faut-il considérer que la situation interne du PCF, dont la crise semble loin d’être résolue, notamment entre la base militante et les élus, combinée à sa volonté farouche de réduire l’espace politique occupé par le NPA, suffisent à expliquer ce choix ? Mais comment ne pas voir qu’au-delà des prochaines échéances électorales, le problème qui lui est posé restera entier ?
D’aucuns nous diront que l’autonomie vaut en tant que telle, qu’il faut l’acter et faire l’unité à tout prix. Mais accepter les conditions posées par le PCF, c’est-à-dire l’engagement d’inscrire la campagne du premier tour dans la perspective de majorités de gestion avec le Parti socialiste, revient à détruire d’une main ce qu’on tente de construire de l’autre : on ne peut, sans y perdre sa crédibilité, mener campagne au premier tour sur un programme de rupture pour ensuite voter dans les exécutifs régionaux des mesures point par point contradictoires avec lui et donc, surtout, avec les intérêts de celles et ceux qu’on a prétendu défendre et représenter. Le PCF en est d’ailleurs tellement conscient qu’il a refusé de discuter du contenu tant qu’il n’est pas parvenu à nous exclure du cadre unitaire national... que nous avions initié.
Bilan des régions
Alors quoi ? Alors nous poursuivons la discussion, nationalement si possible même si le PCF n’a de cesse de nous en écarter, et dans les régions assurément, sur le contenu, parce qu’on se présente d’abord sur un contenu. Il faut évidemment répondre à la question posée, et proposer un programme pour les régions, mais en adéquation avec un profil national radical. Les régions ont en charge les lycées privés et publics, la formation professionnelle, les transports, « l’action économique » c’est-à-dire essentiellement les aides aux entreprises, et l’aménagement du territoire. Les conseils régionaux de gauche ont poursuivi et parfois aggravé le démantèlement du service public de la formation professionnelle et la politique de financement des lycées privés et des CFA. Ainsi, en Île-de-France, le conseil régional s’est vanté de l’augmentation bien réelle du nombre d’élèves intégrés dans les CFA : de 58 000 élèves en CFA début 1999, on est effectivement passé à près de 100 000 aujourd’hui, en enrichissant au passage les patrons qui emploient les apprentis, pariant sur une filière dont ils ont, pour l’essentiel, le contrôle direct. Les conseils régionaux ont aussi décliné régionalement les plans de relance et d’aide aux entreprises mis en place par le gouvernement (49 millions d’euros en Bretagne pour 2009, 720 millions d’euros en Rhône-Alpes !). Pour ne prendre qu’un seul exemple, PS et PCF ont voté avec la droite, en juillet, une subvention de 6 millions d’euros pour le groupe Pierre et Vacances, afin de l’aider à implanter un Center Parc (avec des dizaines d’hectares de forêt privatisés, la réalisation d’une serre tropicale avec un impact écologique très lourd…). La reproduction à l’identique d’une politique de cette nature ne peut constituer une perspective !
À l’opposé, nous devons pouvoir défendre ensemble en particulier les transports gratuits et 100 % publics, un service public de la formation professionnelle et l’arrêt du financement de la formation contrôlée par le Medef, l’arrêt des fonds publics pour les lycées privés, y compris ceux qui sont imposés par la loi, le refus de la précarité pour les personnels des régions, le refus des subventions au patronat et la récupération des aides versées aux entreprises qui licencient, ces sommes pouvant être réaffectées à un fonds de soutien des salarié-e-s en lutte !
Pour imposer ces mesures, il faudra évidemment instaurer un rapport de forces social qui dépasse le simple score électoral. Mais ne perdons pas de vue que la défense d’un tel programme contribue aussi à le construire.