Peu d’africains, héros des Indépendances des années 60, ont eu le privilège de voir leur vie portée à l’écran. Le film «Lumumba», sorti en 2000 et réalisé par l’haïtien Raoul Peck, est un hommage majestueux à celui qui est un modèle de courage et de lutte contre la colonisation. Pourtant, Lumumba, qui a arraché de haute lutte à la Belgique l’Indépendance du Congo, n’est resté au pouvoir que 2 mois et demi.
Le Congo durant la colonisation était une propriété personnelle du roi des Belges Léopold II qui écrivait en 1946: «Le Congo a été et n’a pu être qu’une oeuvre personnelle. Or, il n’est pas de droit plus légitime que le droit de l’auteur sur sa propre oeuvre, fruit de son labeur. Mes droits sur le Congo sont sans partage, ils sont le produit de mes peines et de mes dépenses...». Des millions de personnes mourront pour satisfaire la soif capitaliste du roi des Belges. La force des Congolais a été mise de manière violente à la disposition de grands groupes capitalistes comme la Compagnie Spéciale du Katanga qui reçoit la pleine propriété d’un territoire six fois plus grand que la Belgique. Principal actionnaire de l’Union minière fondée en 1906 avec seulement 10 millions de francs belges, elle réalise entre 1950 et 1959 un bénéfice net de plus de 31 milliards, et domine le Katanga dont elle organise la sécession en 1960.
Dès 1956, les intellectuels congolais réclament plus de droits. Les Belges comprennent très vite que pour préserver leurs intérêts, il faut en intégrer certains au système colonial, d’autant que ceux-ci ne menacent pas directement leurs intérêts, comme le note Lumumba lui-même en 1956: «Le désir essentiel de l’élite congolaise est d’être des ‘Belges’ et d’avoir droit à la même aisance et aux mêmes droits». Le 10 octobre 1958, Iléo, Ngalula, Adoula et Lumumba fondent le Mouvement National Congolais (MNC), un parti plutôt loyal vis-à-vis de la Belgique. Mais en décembre 1958 a lieu à Accra (Ghana) une conférence panafricaniste historique. Lumumba y rencontre alors Kwame Krumah, père du panafricanisme et change radicalement de vision. Il déclare après ce congrès: «Malgré les frontières qui nous séparent, nous avons la même conscience, les mêmes soucis de faire de ce continent africain un continent libre, heureux, dégagé de toute domination colonialiste». Lumumba comprend que l’indépendance du Congo ne peut s’obtenir que par la lutte active des masses congolaises. Les partisans de l’indépendance se regroupent alors essentiellement dans le MNC de Lumumba et le Parti Solidaire Africain (PSA) de Mulele et Gizenga. Les Congolais ont enfin compris que l’essence du colonialisme est la domination économique et qu’à la base des malheurs du Congo se trouve la soif du profit des capitalistes européens. En août 59, le vice-gouverneur général Schöller parle de «la masse fanatisée en état de rébellion ouverte. […] Dans le Bas- et Moyen-Congo, on se trouve en période pré-révolutionnaire. Nous risquons d’être entraînés dans une guerre de type Algérie». L’administration coloniale tente de s’appuyer sur les «intellectuels» moins radicaux prêts à accepter une pseudo-indépendance.
Lors du congrès du MNC en octobre 1959, Lumumba réclame l’Indépendance immédiate du Congo. De violentes émeutes éclatent lorsque l’administration coloniale veut arrêter Lumumba, qui finit d’ailleurs par être emprisonné le 31 octobre 1959. La situation dégradante incite la Belgique à organiser une table ronde à laquelle participe Lumumba. Les élections du 22 mai 1960 qui conduisent à l’indépendance le 30 juin font un triomphe au MNC tandis que le PNP (Parti National du Progrès), soutenu par la Belgique, l’église catholique et pro-belge est laminé. Le discours du 30 juin de Patrice Lumumba devant le roi des Belges restera à jamais gravé dans les mémoires. Il déclare sans faillir et sans faire de courbettes à l’oppresseur: «Cette indépendance du Congo, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle, nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force».
Les capitalistes mettront tout en œuvre pour faire payer à l’«insolent» révolutionnaire le prix de son affront. Les États-Unis aussi sont de la danse. Lumumba se rapproche alors de l’URSS afin de mater la rébellion qui s’organise. Il refuse la présence des troupes onusiennes qu’il considère au service des États-Unis. Les manipulations politiques conduisent finalement au coup d’Etat de Mobutu qui, quelques heures seulement après sa nomination comme commandant en chef de l’armée, exécute le plan machiavélique élaboré avec la CIA. Le 27 novembre, Lumumba fuit vers Kisangani (est du Congo) mais est capturé par les troupes de Mobutu, aidé par les services secrets américains. Torturé, il est finalement livré en janvier 1961 à ses ennemis du Katanga qui l’assassinent le 17 janvier 1961.
Patrice Lumumba a donné sa vie à l’Afrique. Sa vie est un exemple pour tous ceux qui se battent aujourd’hui et demain pour l’indépendance totale de l’Afrique. «En Afrique, disait Lumumba, tout ce qui est progressiste, tout ce qui tend au progrès est qualifié de communiste, de destructeur. Il faut toujours faire des courbettes et accepter tout ce que les colonialistes vous offrent. Nous sommes simplement des hommes honnêtes et notre seul objectif a été: libérer notre pays, construire une nation libre et indépendante.»
Moulaye Aidara