Lors de la rencontre des salariés du public et du privé organisée par le NPA les 28 et 29 novembre 2009 à Saint-Denis, une table ronde a réuni des militants qui ont participé ou soutenu des luttes contre les licenciements au cours de ces derniers mois.
Philippe1 : Freescale, anciennement Moto-rola, a été rachetée sous LBO (Leverage Buy Out) par le fonds d’investissement américain Blackstone. Cette entreprise de 1 600 salariés est spécialisée dans la recherche et développement pour l’automobile et compte 400 salariés en production.
Des anticapitalistes animent les sections CFDT et CGT, majoritaires dans le collège ouvrier, mais minoritaires sur l’ensemble des trois collèges. FO, ancien syndicat « maison », est majoritaire.
Récemment, un DRH expliquait dans la presse que la fermeture de Motorola avait été programmée dès 1998. Il n’y avait donc plus d’investissements depuis des années et la direction a profité de la crise financière pour annoncer, en avril 2009, la fermeture pour fin 2011.
Cette annonce a provoqué une forte réaction des travailleurs qui ont participé massivement à la manifestation du 1er mai, puis se sont tenues des assemblées générales (AG) importantes, auxquelles participaient toutes les organisations syndicales. Par la suite, FO a cessé d’y participer. La CGT, la CFDT et la CFTC qui sont restées ont formé l’intersyndicale qui a organisé la participation à la journée nationale interprofessionnelle du 26mai appelée par le « G8 ». L’intersyndicale a mené toute une série de négociations hebdomadaires, quatorze au total, dans lesquelles s’affrontaient la direction proposant reclassement et mobilité, et l’intersyndicale qui exigeait 150 000 euros par salarié.
Le 7 septembre, la grève a démarré sur une poussée de la base, bousculant l’intersyndicale qui aurait préféré attendre le retour des congés. Elle a duré cinq semaines et était dirigée par un comité de grève regroupant aussi des non-syndiqués. Il s’agissait d’une grève très démocratique, avec des essais de convergence régionale. Ainsi, le 17 septembre, une manifestation a eu lieu avec les salariés de TDF, ERDF et Carrefour entre autres. La grève a été marquée par un engagement fort des grévistes : organisation, au début du mouvement, d’un piquet de grève filtrant, bloquant un millier de véhicules dans la campagne avant d’être évacué par les CRS. Autre action réussie : un blocage des bus avec l’accord du syndicat des chauffeurs Sud a fait toucher du doigt les possibilités de la solidarité ouvrière.
Les grévistes ont été rencontrer les New Fabris et les Ford à Blanquefort, mais la lutte est, malgré tout, restée isolée. Ainsi, par exemple, les salariés de Molex ont repris le travail au moment où la grève démarrait à Freescale. La grève s’est terminée en bon ordre et la reprise du travail s’est organisée sous une banderole proclamant « C’est pas fini ! ». La grève a quand même obtenu quelques résultats : l’indemnité plancher, qui était de 30 000 euros au départ, est passée à 60 000 euros pour les salariés qui partaient en 2009 et 40 000 euros pour ceux qui attendaient la fermeture. Fin novembre, FO n’avait pas signé le projet patronal.
Sylvain2 : L’entreprise Molex compte 283salariés, dans une petite ville à la campagne. Elle fabrique des connecteurs électriques pour l’automobile et a été achetée, il y a quelques années, par une boîte nord-américaine. La fermeture a été annoncée en octobre 2008, impliquant des centaines de licenciements en plus dans les entreprises dépendant de Molex. La mobilisation a pris son essor avec la séquestration médiatisée du patron. Il fut relâché avec la promesse du gouvernement qu’il n’y aurait pas de poursuites judiciaires.
La grève a démarré en juillet 2009, à un moment où la production avait cessé et une partie des machines avait déjà été déménagée. Mais, en août, les patrons ont tout de même fait intervenir des vigiles pour évacuer le piquet et interdire le site aux salariés, ce qui a porté un rude coup au moral. Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) fut ensuite signé dans une ambiance de débâcle. Les syndicats ont présenté le projet en assemblée générale sans débat et il a été adopté par 140 voix contre 74. La lutte a été marquée par la recherche d’un repreneur, ce qui s’explique par le poids très fort de l’emploi dans un environnement qui en dépend. Mais les résultats n’ont pas été à la hauteur, le fameux repreneur ne proposant pour l’instant que douze reprises sur 283 salariés.
L’enterrement de la grève a été symbolisé par la venue du secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, qui avait fait de Molex une lutte exemplaire pour la défense de l’emploi en l’opposant à la lutte des Continental qui acceptaient un PSE moyennant une forte prime. Thibault avait promis : « je vais en discuter avec Sarkozy. » Résultat : perte des emplois et une indemnité de 60 000 euros par salarié.
La mobilisation des Molex a imposé un positionnement de toutes les forces politiques venues les soutenir. Le NPA a défendu la nécessité de réquisitionner une telle entreprise pour imposer l’interdiction des licenciements. Le Parti communiste et le Parti de Gauche ont axé leurs propositions sur l’aspect juridique, demandant la mise sous séquestre des machines. Ce qui nous aurait entraîné dans une bataille juridique sans fin. La justice a montré ses limites : le patron a été condamné quatre fois, mais sans application des décisions. Le Parti socialiste a eu une position plus à gauche que le PCF et le PG, en demandant la réquisition de cette entreprise qui fermait alors qu’elle faisait des profits.
Betty3 : H&M est une grosse multinationale présente dans plus de 100 pays. Implantée en France depuis dix ans, H&M est passée de 1 à 110 magasins avec un chiffre d’affaires de plus 700 millions d’euros par an. En 2004, un fort mouvement de grève a eu lieu au pôle logistique du Bourget, avec des résultats (obtention d’un 13e mois…). Le Bourget est devenu le bastion syndical, une originalité chez H&M par rapport aux magasins comme celui où je travaille.
En mai, les patrons ont décidé la dissolution du site et le transfert des activités vers un immense entrepôt en Belgique (en construction à coup de subventions wallonnes et européennes). Mais cela, nous ne le savions pas alors. La première étape du processus qui nous a été annoncée a été le transfert des salariés du Bourget à GBC France, indépendante de H&M. Nous avons accompli un gros travail d’explication syndicale, la direction prêchant le faux pour convaincre les salariés de ne pas bouger. Une première grève, peu suivie, a été organisée en juillet. Avec un petit groupe de salariés, nous avons bloqué les camions. Mais nous avons été obligés d’arrêter après un référé imposant la levée du barrage.
La deuxième grève, en octobre, a été plus réussie : cinq grévistes au départ de l’action, 60 après une semaine et 80 % lorsque nous avons appris la réalité économique de GBC, filiale semi fictive, puisque son capital de départ n’était que de 1 000 euros et son adresse, juste une boîte postale ! Nous avons obtenu un écho médiatique et le soutien des partis politiques. Nous avons eu, en appui à notre lutte, la direction locale du travail qui au départ s’est opposée au transfert des contrats de travail. Nous avons aussi mené une action juridique car le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) n’avait pas été consulté. H&M a perdu.
Cathy4 : À l’entrepôt logistique, il y avait 280 salariés et en moyenne 200 intérimaires. Une particularité a été le rôle des cadres – syndiqués ou non, mais en grève – qui ont fourni des informations permettant de comprendre la logique de la direction. Ce centre connaissait une forte syndicalisation mais sans habitude de discussion en assemblée générale et de décisions collectives. La mobilisation, c’est l’action immédiate et le blocage ! Les unions locale (UL) et départementale (UD) CGT ont été contre la création d’un comité de soutien. Il était difficile de sortir de l’entrepôt, mais une action devant TF1 avec 60 salariés a été organisée le jour où un ancien gréviste a tenté de se suicidé au cours d’une réunion. Et, alors que la grève était terminée, une trentaine de salariés du Bourget et des magasins ont accueilli les clients toute la matinée du lancement de la campagne Jimy Choo, le 14 novembre.
Betty : Mais la situation est devenue difficile après la décision du tribunal autorisant, le 3 décembre, la validation du transfert. Et l’inspection du travail de Paris a autorisé le départ des instances représentatives du personnel du Bourget. Nous avons obtenu la garantie et le maintien des avantages obtenus chez H&M pour les salariés transférés dans la filiale GBC, pour le moment. Mais le goût reste amer. La revendication principale demeure : la nécessité d’une passerelle garantissant la reprise des salariés chez H&M (dans les magasins) en cas de faillite de GBC (logistique).
Philippe5 : Près de deux ans de lutte de février 2007 à décembre 2008 ! Le principal souci a été de sortir de l’isolement, de rechercher la médiatisation du conflit. C’est une grosse boîte : environ 2 000 salariés et 10 000 emplois induits. L’annonce de la fermeture a donc provoqué des remous. Nous avons réussi à mener une bataille régionale, avec un gros écho. Nous sommes intervenus en direction des élus : Alain Juppé, maire de Bordeaux, entre autres. En vingt mois, la mobilisation a connu plusieurs phases. En appui au blocage de l’usine, nous avons aussi réussi à monter un comité de soutien. La lutte a été menée tout au long par une minorité des salariés de l’entreprise. On a finalement obtenu une reprise de l’activité et l’implication de Ford jusqu’à fin 2011. On a gagné deux ans pour l’instant, ce qui n’est pas négligeable dans la crise actuelle; nous n’avons même pas eu de chômage partiel.
Il y a eu une grosse bataille sur la défense de l’emploi plutôt que pour de grosses indemnités de licenciement, ce qui a suscité bien des débats parmi les salariés et les syndicats. Défendre l’emploi se heurtait au désir de quitter des conditions de travail pourries : beaucoup ne voulaient pas défendre un tel boulot. Il y a donc eu deux revendications parallèles : la défense de l’usine et des emplois et la demande d’une indemnité de 120 000 euros si l’on devait quitter l’entreprise. Le patron avait, lui, opté pour les départs et proposait un plan accompagné de 50 000 euros par salarié. Il y a eu de grosses pressions pour un accord. La CGT a réussi à faire capoter l’opération et à dénoncer cet accord. Le processus pour trouver des repreneurs s’est alors vraiment enclenché.
Depuis janvier 2009, le travail a repris et la mobilisation est retombée. L’ambiance est un peu morose, mais nous pensons que nous nous en sortons bien par rapport aux autres entreprises de l’automobile où il y a eu du chômage partiel. Néanmoins, le travail est reparti comme avant avec les mêmes conditions de travail… C’est donc difficile. On va profiter de la période électorale pour aller dans tous les meetings, interpeller Juppé et les autres élus. Car l’avenir n’est pas encore assuré. Il y a beaucoup d’aides publiques dans le projet de reprise, avec un projet de chaîne de fabrication d’éoliennes. Il faut contrôler l’utilisation de cet argent public. Nous avons passé l’année 2009 à rencontrer les salariés en lutte – les Molex, les Freescale, les Conti, les New Fabris, les Philips – en plus des manifestations parisiennes des 17 septembre et 22 octobre. C’est une politique volontariste, mais les liens se tissent, ça paie.
Jacques6 : Au départ, le Collectif de résistance ouvrière (CRO) est parti d’une entreprise qui n’était pas en lutte, où il y avait du chômage partiel. Les gars sont venus nous voir : « les unions locale et départementalesne font rien, alors on vient voir le NPA ». Il y avait six autres entreprises en difficulté dans le coin, on a pris notre téléphone et on a appelé : « On est le NPA, on veut vous aider, on peut se voir ? » Ils étaient un peu surpris, mais ça a marché. En quinze jours, on a créé un collectif à partir de cinq petites boîtes (une boîte de bus avec douze chauffeurs, une carrière…).
On a décidé de faire une action tous les lundis : une banderole à un carrefour, un blocage… Une autre fois, on a bloqué une voie ferrée. Le mieux a été le sabotage d’une réunion UMP avec Gérard Longuet. L’union locale CGT a alors décidé de rejoindre le CRO. Le 1er mai, la manifestation traditionnelle a été animée par le CRO et s’est dirigée vers la Préfecture, avec CRS… Un rendez-vous a été obtenu avec le Préfet, qui a reçu, ensemble, le CRO et le NPA.
La réputation du CRO a alors débordé de la Meuse. Les gars de Mc Cormick (Haute-Marne) nous ont contacté. Nous avons aussi été dans d’autres endroits, en Moselle. L’UL CGT de Saint-Dizier a aussi voulu rejoindre le CRO. Mais l’UD CGT de Haute-Marne l’en a empêché, disant qu’il fallait se méfier, que derrière le CRO c’était le NPA, la politique… Des permanents sont venus de Paris mettant une grosse pression. Le Comité n’a pas été autorisé à présenter ses arguments, alors qu’il était composé à 100 % de militants CGT…
Il y a eu un vote à L’UL de Saint-Dizier sur l’adhésion au CRO qui a finalement échoué à une voix près. Ceux de Mc Cormick se sont aussi retirés. Cela a marqué alors une baisse d’activités du CRO, qui est un peu en sommeil maintenant. Certains des petites boîtes avaient aussi retrouvé du travail ailleurs… Mais cette expérience a marqué les esprits et montre qu’on peut contacter des équipes syndicales abandonnées, faire des choses, réagir ensemble.
1. Philippe fait partie de la Fraction l’Étincelle. Il intervient avec les militants de l’entreprise Freescale, qui n’ont pu venir car les assemblées générales continuent à se tenir chaque semaine (équipe de week-end).
2. Sylvain est membre de la commission intervention sur les lieux de travail (CILT)du NPA Toulouse et a suivi la mobilisation, le camarade de Molex malade n’ayant pas pu venir.
3. Betty est déléguée syndicale chez H&M.
4. Cathy est membre du NPA 93.
5. Philippe est salarié de Ford Blanquefort.
6. Jacques a présenté l’expérience du Collectif de résistance ouvrière (CRO) de Bar-le-Duc (Meuse). Il est membre de la commission intervention sur les lieux de travail (CILT) du NPA Mulhouse.