Publié le Jeudi 11 mars 2010 à 11h46.

Dernière ligne droite (par Ingrid Hayes)

On se souvient qu’au moment des élections européennes, tout avait été fait pour retarder au maximum l’entrée en campagne, et que lorsqu’elle fut enfin lancée, ce fut avec le souci de ne pas outrepasser les thématiques européennes, de manière à ne pas faciliter une éventuelle sanction électorale du gouvernement.

Cette stratégie remporta d’ailleurs un certain succès, matérialisé par l’abstention massive dans les couches populaires. Rien de tout cela cette fois-ci. La droite souhaite faire de ces élections un test national : il lui faut une confirmation qu’elle dispose du rapport de forces nécessaire pour continuer et aggraver sa politique, notamment en poursuivant la destruction méthodique des services publics et en lançant la grande bataille des retraites. Évidemment, le gouvernement Fillon-Sarkozy n’est pas aveugle à sa propre impopularité. Il constate également que les résistances, même faibles et dispersées, ne sont pas désavouées par la population, dans un contexte de fort mécontentement.

Alors toutes les manœuvres de diversion y passent, pour faire oublier les responsabilités gouvernementales dans la situation chaque jour aggravée qui est celle de l’immense majorité de la population : ne parlons pas de la crise, de ses effets, ni, surtout, de la scandaleuse manière dont elle est gérée, au profit des possédants. Il s’agit plutôt de lâcher les chiens, les spécialistes du débat sur « l’identité nationale », à qui l’on commanda « du gros rouge qui tache » Ils ne s’en sont pas privés. Et si le débat en un sens fait un flop, la légitimation de thématiques et de propos qui n’avaient plus cours hors des cercles de l’extrême droite constitue un élément de dégradation supplémentaire du rapport de forces. Toutefois, en mettant sur la table la contre-réforme des retraites, même si son terme est différé, c’est Sarkozy lui-même qui place la question sociale au cœur de la campagne des régionales.

De l’autre côté de l’échiquier politique, le match interne à la future grande famille rose-orange-verte oppose le Parti socialiste et Europe Écologie : cette dernière formation est-elle à même de renouveler même partiellement la percée des élections européennes et de damer le pion au PS dans plusieurs régions ? Les sondages sont désormais moins favorables à EE, qui peut toutefois se targuer d’une réelle attractivité sur des secteurs militants radicaux, malgré la nature de son projet. Le PS semble remis en selle, favorisé par le scrutin majoritaire et le fait qu’à l’échelle régionale – hormis en Languedoc-Roussillon… – il ne souffre pas de la crise de leadership qui le paralyse nationalement. Pourtant, pour cette «première étape de la reconquête», les déclarations de Martine Aubry au sujet des retraites sont un sacré faux pas … et une leçon de choses : on ne va pas à la bataille en suggérant à l’adversaire son prochain coup. Sans doute la bataille, côté PS, n’est-elle pas certaine. Dans les conseils régionaux, censés constituer des « remparts » contre la politique de la droite, il n’y eut pas le moindre affrontement avec la logique libérale.

Un programme de rupture

Alors, bien sûr, l’un des enjeux de ces élections consiste à empêcher la droite d’emporter de nouvelles régions, et de disposer ainsi de nouveaux leviers pour mener sa politique. Mais il nous faut plus que jamais défendre une orientation radicale, sur un programme de rupture, en toute indépendance du social-libéralisme, une orientation qui permette que se retrouvent toutes celles et tous ceux qui refusent de payer la crise, qui oppose à la loi du profit la nécessaire satisfaction des besoins sociaux.

Nous avions pensé qu’un tel profil pouvait rassembler, au-delà de nos rangs, l’ensemble des forces dites de la gauche radicale. Mais notre volonté, qui se traduit toutefois par nombre d’accords régionaux, est venue buter, au plan national, sur une divergence profonde avec la direction du PCF, relative, chacun le sait, à la question des alliances avec le PS dans des majorités de gestion. L’orientation du PCF, sous couvert de responsabilité et de crédibilité, revient à défendre un programme au premier tour pour en appliquer un autre une fois tenu par les accords contractés entre les deux tours. Les accords de gestion constituent, pour des antilibéraux, un renoncement majeur, puisqu’ils les privent des moyens d’imposer la moindre mesure antilibérale.

Pourtant sur cet aspect il ne peut y avoir de naïveté ou de surprise. Ce n’est pas une position théorique ou abstraite : elle se fonde sur le bilan des exécutifs d’union de la gauche durant la mandature qui s’achève au mois de mars. Subventions aux lycées privés allant au-delà des obligations légales alors qu’on casse le service public d’éducation, développement de l’apprentissage aux mains du patronat, alors qu’on démolit l’enseignement professionnel public, subventions aux entreprises qui licencient, développement des pôles de compétitivité au service des grandes entreprises, dans une logique de gestion de la crise semblable à celle du gouvernement, refus de mettre en place des services publics régionaux alors qu’ils sont nationalement démantelés… Et le PCF s’est retrouvé solidaire de cette politique par le biais d’accords de gestion dans seize régions, l’accompagnant et la cautionnant, y participant parfois directement.

Face à un tel bilan, il faut bien être en mesure d’affirmer la crédibilité d’un autre profil, en répondant à la question posée par le cadre de ces élections particulières et en récusant l’idée que rien d’autre n’était possible dans les conseils régionaux. Les compétences des régions sont évidemment limitées, mais nous n’avons pas de raison de nous y conformer, d’autant que la population ne découpe pas ses préoccupations en tranches : en première ligne notamment sur la question des retraites et des licenciements, nous défendons un profil national, sur la base d’un programme d’urgence sociale et écologique, mais auquel s’articulent des propositions régionales qui en sont la déclinaison. La double question clé est celle de la répartition des richesses et de l’articulation entre les mesures sociales et écologiques.

Un projet alternatif

Répartir les richesses, cela signifie notamment utiliser l’argent public exclusivement pour les services publics. Et il est aisé de donner à voir ce que cela signifie dans les régions. Dans l’éducation, compétence régionale s’il en est, il faut en finir avec les subventions aux lycées privés et à la formation professionnelle contrôlée par les chambres des métiers, et attribuer ces moyens à l’école publique. Des conseillers régionaux anticapitalistes lutteraient également pour réintégrer l’ensemble des services externalisés, notamment la restauration, à un service public régional. Les subventions aux entreprises peuvent être stoppées et récupérées, et servir à mettre en place des fonds d’investissement et de solidarité - solidarité assurée à des salarié-e-s en grève, investissement permis, par exemple, à un collectif de salarié-e-s qui dans le cadre d’une lutte contre un plan de licenciements déciderait de reprendre l’entreprise sous forme de coopérative ouvrière.

Articuler les besoins sociaux et écologiques, c’est par exemple défendre la gratuité des transports, que nous voulons 100% publics. Loin d’une écologie culpabilisante, qui s’impose à la population sous forme de taxes, la rendant impopulaire, des transports collectifs gratuits permettraient à la fois de réduire les émissions de gaz à effets de serre en limitant la circulation automobile et d’assurer à chacun-e le droit de se déplacer, pour travailler évidemment, mais aussi pour ses loisirs. Côté financement, on rejoint la logique de répartition des richesses : il faut généraliser la contribution transports des entreprises de manière à ce qu’elle assure 100 % du trajet domicile-travail, mais aussi taxer les entreprises qui bénéficient du système de transports publics sans y contribuer, et abandonner les projets pharaoniques comme le Grand Paris, dont la logique est à l’opposé de la satisfaction des besoins du plus grand nombre.

Alors oui, nous avons des choses à dire, à défendre, à imposer dans cette campagne, pour rendre crédible un changement de logique, une inversion de la vapeur, et pour porter haut les exigences de celles et ceux qui résistent à la politique de casse sociale et écologique. Plus que jamais, avant, pendant et après les régionales, tout changer, rien lâcher !