La réalité de l’avortement au Brésil démontre que l’illégalité n’empêche pas la pratique clandestine, qui dans la majorité des cas, se déroule dans des conditions risquées pour la vie des femmes. Pour l’année 2008, l’Organisation mondiale de santé a constaté que 6 millions d’avortements illégaux avaient été pratiqués en Amérique latine dont 1,4 million rien qu’au Brésil et une sur mille femmes meurt des conséquences de cette pratique. Environ 9 % de ces décès sont directement causés par les complications liées à l’avortement à risque, 4e cause de la mortalité maternelle. Ces chiffres peuvent augmenter, puisque les fréquentes infections généralisées et hémorragies, citées comme cause de la mort sur les certificats de décès, cachent très souvent le vrai motif de la mort. La majorité des victimes sont les plus jeunes et les plus pauvres, ce qui démontre que la lutte pour la légalisation de l’avortement doit être menée en tant que problème de classe pour dénoncer non seulement les causes spécifiques de l’oppression des femmes mais aussi les causes structurelles du capitalisme.
On ne peut comprendre cette réalité sans connaître ces femmes et les facteurs qui les « obligent » à recourir à l’avortement illégal et donc à risque. Malgré la peur de mourir et le risque d’être emprisonnées, elles pratiquent quand même l’avortement. Elles habitent majoritairement les quartiers périphériques et travaillent dans des conditions précaires liées au sous-emploi, dans lesquelles le droit aux congés de maternité n’existe pas. Ces femmes n’ont accès ni aux méthodes contraceptives adaptées à leur corps et à leur santé, ni à l’éducation et à la santé publiques de qualité, leur logement est vétuste voire insalubre, et l’inexistence de système de crèche augmente encore le fardeau de devoir élever seules leurs enfants.
Inscrire la lutte pour la légalisation de l’avortement dans la lutte anticapitaliste exige de savoir qui sont nos alliés. De nombreux politiciens brésiliens sont favorables à la légalisation de l’avortement dans le but d’empêcher que les femmes pauvres aient davantage d’enfants, et par ce biais combattre « la criminalité et le trafic de drogues dans les favelas de la ville de Rio de Janeiro », faisant une démonstration digne de fascistes. De l’autre côté, le gouvernement de Lula a cédé aux pressions de l’église catholique et a reculé dans la lutte pour la dépénalisation de l’avortement, bien que sa réalisation ne soit toujours pas garantie dans les services publics de santé. Cela nous sert d’alerte pour que nous ne pratiquions pas la lutte pour la légalisation de l’avortement dans le détail et de façon corporatiste, sans nous distinguer de ceux qui ne veulent pas combattre la structure du capitalisme dans ses facettes les plus cruelles, qui réduisent l’accès à la santé et à l’éducation publiques, qui exploitent le travail et qui s’attaquent aux droits des travailleurs, enfin qui menacent la vie dans sa forme la plus pleine, telle que nous la défendons.
Tarzia Medeiros, militante féministe de la Marche mondiale des femmes et dirigeante du PSOL (parti socialisme et liberté) au Brésil.