Au lendemain des élections régionales, il nous faut examiner la situation, sans d’ailleurs en juger à l’aune de nos propres scores ! Le trait majeur, sans aucun doute, est l’approfondissement de la crise et de ses effets politiques et sociaux. Si la crise historique du capitalisme ne produit pas pour l’heure de franchissement d’un seuil majeur dans la lutte des classes ou dans le niveau de conscience, ni dans l'hexagone, ni ailleurs en Europe, on assiste depuis peu à un regain de l’activité revendicative en France, d’ailleurs largement déconnectée des échéances électorales. Personnels des hôpitaux publics, enseignants refusant les suppressions de postes, salariés du privé en lutte pour leurs salaires avaient montré la voie. Au lendemain du second tour, la mobilisation du 23 mars fut un succès… qui en appelle d’autres.
En outre, le tournant actuel de la crise s’incarne dans la situation grecque et dans un scénario qui se reproduit en Espagne ou au Portugal et n’épargnera, à des degrés divers, aucun pays d’Europe. La dette publique contractée en renflouant les banques et les financiers est l’objet de nouvelles spéculations, et la facture est présentée par les États à la majorité de la population (gel des salaires, réduction des pensions et des protections sociales).
Sur un plan politique, il faut prendre au sérieux les enseignements des élections. La donnée majeure est l’ampleur du rejet de Sarkozy et de sa politique, qui s’exprime par des moyens divers. C’est la claque magistrale de la droite, qui, avec 26 %, atteint son niveau le plus bas de la Ve République. C’est la force de l’abstention, qui touche au premier chef la jeunesse et les classes populaires, marque d’un désaveu des partis institutionnels mais aussi d’un éloignement d’une partie de la population du champ électoral : l’exclusion sociale produit de l’exclusion politique. C’est le score élevé du FN, que la politique de Sarkozy a produit en prétendant le contenir, notamment en reprenant ses thématiques nauséabondes dans le cadre du débat sur l’identité nationale, et en accumulant les promesses non tenues sur le plan social. C’est le score important du PS, redevenu pour l’heure hégémonique à gauche, avec des partenaires qui ont chacun réussi une forme de réorganisation. L’hypothèque du Modem est temporairement levée, prenant le PS à contrepied et le poussant vers des alliances plus classiques. Il est à noter quand même que, passé le premier tour, chaque fois que le PS s’est vu opposer une liste Europe Écologie ou FDG-NPA, comme en Limousin, ces listes ont fortement progressé entre les deux tours, signe d’une défiance maintenue à son égard.
Dès lors, une crise politique est ouverte : derrière les mensonges et les diversions, la politique antisociale de la droite est apparue pour ce qu’elle est, et c’est au moment où le gouvernement s’apprête à en aggraver encore la violence qu’il perd toute légitimité. La droite se divise désormais, consciente que la réélection de Sarkozy n’est plus acquise. Celui-ci n’a pas d’autre alternative que d’unifier son propre camp en opérant un tournant plus à droite encore. Point de « pause » semble-t-il, mais la volonté affichée d’aller au bout des réformes, notamment sur les retraites. Face à lui, on voit poindre de nouveau la possibilité d’une alliance gouvernementale à gauche, emmenée par le PS. Chacune des trois forces concernées est en quelque sorte sortie de la crise qu’elle traversait depuis 2007. Le PS est temporairement réunifié autour de Martine Aubry et se retrouve au centre du jeu. Les Verts ont produit avec Europe Écologie une solution à l’impasse de leur mouvement. Et Jean-Luc Mélenchon a permis au PCF d’enrayer son déclin, en lui donnant un regain de vitalité. Si une nouvelle mouture d’union de la gauche est déjà dans les tuyaux, les contradictions sont encore fortes dans chacun des trois pôles, avec des projets différents et des rivalités internes importantes.
Cette situation définit en creux les tâches qui sont devant nous : s’inscrire dans le rejet de la droite, affirmer l’illégitimité du gouvernement et traduire sa défaite électorale sur le terrain social, notamment dans le cadre de la bataille pour la défense des retraites ; mener avec vigueur un combat antiraciste et antifasciste ; proposer un plan d’urgence face à la crise et une alternative anticapitaliste crédible à la politique que les bourgeoisies européennes mènent ou s’apprêtent à mener pour sauver des États en faillite ; et peser dans le champ politique à gauche, c’est-à-dire tenir la perspective d’une gauche anticapitaliste indépendante et empêcher que l’ensemble des forces à gauche du PS soient entraînées dans son sillage dans la perspective de 2012.
Pour y faire face, il faut aussi prendre la mesure de notre propre situation et des moyens d’y remédier. Les résultats du NPA sont globalement décevants, même s’il faut nuancer en fonction des régions et des configurations. Si chacun-e s’accorde pour l’essentiel sur les facteurs objectifs qui ont pesé sur la campagne et les scores, les avis sont divers sur la manière d’envisager nos propres responsabilités dans l’affaire. Le vote utile pour le PS a pesé lourd dans une situation où les électeurs, peu confiants dans la perspective d’un mouvement d’ensemble, en sont à considérer que Sarkozy ne peut être défait que sur le plan électoral. Dans un tel contexte, les forces qui, tout en se situant en critique vis-à-vis du Parti socialiste, assument avec lui la logique d’une gestion institutionnelle commune, en souhaitant la tirer un peu plus à gauche (ou un peu plus sur le terrain des préoccupations écologiques), ont pu tirer leur épingle du jeu. L’orientation, du NPA, anticapitaliste et indépendante du social-libéralisme, qu’il nous faut évidemment assumer et réaffirmer, nous situe en décalage avec cette aspiration au « moindre mal ». L’abstention a également frappé durement le NPA. Mais la question qui nous est posée porte d’abord sur ce qui relève de nos propres responsabilités. Pourquoi ne sommes-nous pas parvenus à convaincre qu’il était utile de voter anticapitaliste ? Pourquoi les classes populaires se sont-elles emparées de tous les moyens pour protester, sauf … du vote pour le NPA (et encore moins, il est vrai, pour Lutte ouvrière) ? À l’heure où ces lignes sont écrites, le débat s’ouvre à peine dans l’organisation.
Le NPA a été créé il y a maintenant un peu plus d’un an, dans l’enthousiasme. Il connaît aujourd’hui de sérieuses difficultés : au-delà même de l’échec électoral, les dernières régionales soulignent le risque d’une marginalisation politique. Pour retrouver le souffle et le projet initiaux, il nous faut d’abord approfondir le bilan des difficultés rencontrées par le NPA - et, plus largement, par la gauche radicale - sur le champ politique mais aussi sur le terrain des mobilisations sociales. Le paysage politique actuel est assez différent de celui qui existait début 2009. Fondé alors que l’anti-sarkozysme s’incarnait dans des luttes qui portaient la perspective d’un mouvement d’ensemble, face à une gauche gouvernementale en déshérence, avec un FN rétréci, le NPA doit se positionner dans un contexte modifié. Il est donc urgent de revenir, tous ensemble, sur les potentialités offertes aux anticapitalistes et leurs limites. Et de reprendre la discussion sur le type de parti que nous voulons construire : indépendant de la gauche institutionnelle et utile au mouvement social. Et, bien sûr, sur les moyens d’y parvenir. Parce qu’un tel parti est plus que jamais nécessaire. Ces questions seront au cœur des débats du prochain congrès du NPA. Fin mai, le prochain comité politique national du NPA ouvrira formellement la discussion et le congrès national se tiendra mi-novembre.