Constituée dans le cadre d’une économie capitaliste néolibérale, la dette publique est non seulement l’institution centrale du système, mais aussi un des éléments les plus importants de son dispositif idéologique.
Les Français dépenseraient trop, l’importance de la dette aurait atteint un tel niveau qu’il importerait de réduire drastiquement les dépenses de l’État et des administrations financières publiques. Fardeau pour les générations futures, elle risquerait d’asphyxier notre économie. Tel est en tout cas le discours alarmiste voire catastrophiste tenu par le gouvernement et les champions du système néolibéral.
Cette argumentation est inquiétante pour qui la prendrait comme une vérité établie et c’est là l’objectif du pouvoir. Utilisée comme moyen de pression, elle a pour but de faire admettre aux populations le bien-fondé de toutes les mesures d’une politique d’austérité, de rigueur autoritaire et de régression sociale et démocratique. Elle fait partie du dispositif de dissimulation du transfert des richesses produites en direction des riches et d’une façon générale du pillage de nos biens communs. La dette n’est en fait qu’une arme idéologique propice à dissimuler une gigantesque arnaque qu’il faut dénoncer.
Création de la dette
En 1945, en nationalisant la Banque de France, le gouvernement décidait de restituer à la nation le droit de « battre monnaie », c’est-à-dire le droit de créer la monnaie qui irrigue notre économie et paie le travail de tous.
Rendue exsangue par la guerre, la France pouvait alors trouver l’énergie et l’argent nécessaires pour se reconstruire et mettre en œuvre le programme du Conseil national de la Résistance. Ce qui valut à cette période qui s’étend de 1945 à 1973 d’être appelée les « Trente Glorieuses » en raison des progrès économiques et des conquêtes sociales importantes qui la caractérisent et que Sarkozy détricote allègrement. Elle ne fut pas cependant exempte de conflits sociaux.
Ces « Trente Glorieuses », avec la moder-nisation du pays, les progrès technologiques accomplis, les conquêtes sociales obtenues, accompagnées d’une inflation importante, ont modifié le cadre d’expression du profit capitaliste. Celui-ci n’est plus à l’avantage de la rente.
Il faut la restaurer, renforcer le profit et la propriété. Alors en 1973, la droite avec Giscard et Pompidou opère un changement d’orientations politique et économique : cap sur le néolibéralisme. Le vote de la loi de janvier 1973, par son article 25, confirmé par Maastricht en 1992, réintègre la création monétaire dans le giron capitaliste. Celle-ci sera désormais privatisée, sa gestion confiée aux banques et son utilisation assortie de paiement d’intérêts.
L’État, pour payer sa dette, ne pourra donc plus, comme il le faisait depuis 1945, créer sa propre monnaie alors sans intérêt puisqu’il était son propre créancier. Il devra désormais, pour payer ses investissements, ses actifs, ponts, routes, ouvrages d’art, infrastructures etc. emprunter auprès des marchés monétaires : banques, assurances, établissements financiers et payer en conséquence d’énormes intérêts. Alors la dette enfle, enfle. De 229 milliards en euros constants en 1979, elle atteint aujourd’hui d’après le Monde du 9 septembre dernier la coquette somme de 1 428 milliards soit 73,9 % du PIB. Il est vraisemblable que sa progression ne fera que continuer. Il faut savoir que ce sont 45 à 50 milliards d’euros, soit la quasi- totalité de l’impôt sur le revenu, que l’État verse chaque année en intérêts à ses créanciers : banques, assurances et riches citoyens pour la plupart protégés par le bouclier fiscal. Ce qui représente la bagatelle de 130 millions par jour qui vont des poches des travailleurs dans celles des détenteurs de capitaux. Et pour être plus précis, pour le seul paiement des intérêts de la dette publique nous avons payé depuis 1973 la somme de 1 363 milliards d’euros
Transfert de richesses
C’est ici qu’intervient la première phase de l’arnaque : utiliser cette dette comme justification du saccage prétendument iné-vitable de nos biens communs et de nos conquêtes sociales.
Alors, pour la payer, il faut vendre EDF, GDF, autoroutes, ouvrages d’art, patrimoine administratif, industriel etc. Il faut vendre nos services publics (dont la poste) aux services privés, réduire les effectifs de la fonction publique et nos dépenses sociales, fermer nos maternités, nos hôpitaux. Il faut ouvrir le secteur public au secteur marchand. C’est ainsi que tout ce qu’il avait été possible de faire en 1945 dans un pays détruit par la guerre ne l’est plus aujourd’hui dans un pays riche, et que tout ce qui constituait le programme du CNR est, par un simple tour de passe-passe et par le moyen d’une création monétaire idéologique, subrepticement confisqué et privatisé ou ne tardera pas à l’être.
La deuxième partie de l’arnaque consiste à culpabiliser les citoyens par le mensonge éhonté du fardeau qui pèsera sur les générations futures.
Il faut savoir que toute création de dette entraîne en contrepartie celle d’une créance de même montant valant reconnaissance de la dette sous forme de titres d’État : bons du Trésor, obligations etc. Ainsi la génération qui contractera la dette, héritera de la créance. Il n’y a donc pas transfert entre générations mais transfert entre couches sociales. Chaque génération sera concernée, chacune aura sa part du fardeau Cependant, alors que le capital de la dette définit les actifs et les investissements réalisés qui bénéficieront aux générations présentes et futures, par le jeu de l’inégalité sociale, certains en paieront les intérêts sous forme d’impôts et d’autres les encaisseront et, cerise sur le gâteau, peut-être seront-ils exonérés de leurs impôts grâce au bouclier fiscal
Mais nous ne sommes pas encore au bout de l’arnaque malgré le brouillard idéologique qui en dissimule l’ampleur. Il y a mieux. Le recours à l’emprunt par l’État qui se justifiait quand la monnaie était représentative d’une certaine quantité de métal or ou argent, n’a plus aujourd’hui sa raison d’être puisque la monnaie est totalement dématérialisée. Il reste cependant important qu’elle ait une contrepartie en biens réels ou en créances recouvrables. Le recours à l’emprunt dans ces conditions n’est plus nécessaire. Son recours actuel, à travers les intérêts versés aux créanciers, ne vise qu’à assurer le transfert des richesses du pays entre les mains des plus riches.
Le grand emprunt décidé par Sarkozy procédera de ces mêmes principes. Il sera une charge fiscale supplémentaire pour le plus grand nombre et une « très bonne affaire » pour les riches auxquels Sarkozy ne peut rien refuser.
On ne nous parle plus de la crise, mais elle est toujours là. Le capitalisme néolibéral est en effet loin de son effondrement. À la fin d’un cycle féroce et sans partage, poison de notre biosphère et de notre société, il prépare sa métamorphose, il ambitionne d’en être l’antidote. Sans changer sa nature profonde la chrysalide veut devenir papillon. Qui détient la création monétaire détient le pouvoir et il ne s’agit plus aujourd’hui, pour lui, de défendre l’économie de marché, il peut désormais réduire toute la société aux normes du marché. Sa marche destructrice ne s’arrêtera pas sans la restitution de la création monétaire à son détenteur légitime : le peuple. Elle est pour celui-ci, en effet, le gage de son émancipation économique et politique. Elle reste une manifestation démocratique de sa souveraineté. Elle s’impose aussi comme une des conditions indispensables à une véritable et authentique alternative à gauche.
Guy Holstein