Georges Fontenis dont nous avons appris le décès début août dernier n’était pas un militant anarchiste ordinaire : syndicaliste, anticolonialiste convaincu et principale figure, avec Daniel Guérin, du courant communiste libertaire. Nombreux sont ceux qui parmi nous l’ont croisé au cours des dernières décennies.
Tombé dans l’anarchisme très jeune, Georges Fontenis, jeune instituteur, fait partie de ceux qui, durant les années noires de l’Occupation, réussirent à maintenir, malgré la répression, le flambeau syndical. Adhérent de la CGT clandestine, il participe à la Libération à la reconstruction du courant syndicaliste-révolutionnaire de l’École Emancipée, un engagement auquel il resta fidèle pratiquement toute sa vie.
Il est aussi de ceux qui se lancent dans la reconstruction du mouvement anarchiste, ce qui n’est pas chose facile, vu le rapport de ce courant politique avec la notion même d’organisation. Depuis les années 1920, les anarchistes sont divisés entre les partisans d’une organisation structurée, gage d’efficacité selon eux, et ceux dont les préférences portent sur une simple coordination entre militants d’obédiences et d’activités diverses. Dans ce débat, Fontenis est clairement avec les premiers. Quand il se retrouve en 1945 secrétaire national de la Fédération anarchiste, il s’attache à la transformer en un instrument propre à intervenir dans la lutte des classes, qui semble d’ailleurs s’accélérer en ces années de grèves et de répressions.
Contre l’immobilisme du traditionalisme anarchiste
Fontenis et ses amis se heurtent à l’immobilisme des anarchistes individualistes et créent dans le droit fil de la tradition bakouniniste une fraction secrète grâce à laquelle ils prennent le contrôle de l’organisation. Désormais nommée Fédération communiste libertaire, celle-ci mène une campagne résolue et courageuse en soutien aux indépendantistes algériens tandis que les tenants de l’anarchisme traditionnel font scission. Certains d’entre eux refondent une nouvelle Fédération anarchiste autour du Monde libertaire. La FCL quant à elle, affaiblie par les scissions disparaît en 1957, sous les coups de la répression et en proie aux dissensions internes. Après une période de clandestinité, Fontenis fait partie des militants arrêtés et passe de longs mois en prison.
Les années suivantes qui précèdent Mai 68 sont riches de rencontres. À sa manière, Georges Fontenis a participé au brassage des cultures qui caractérisa une partie de l’extrême gauche de cette époque et contribua à « l’esprit de Mai ». Ainsi le retrouve-t-on, par exemple, au sein du groupe de la Voie communiste qui édite une revue du même nom et où se côtoient dissidents du PCF, militants trotskistes et libertaires. Quand vient Mai 68, Fontenis participe à l’animation d’un comité d’action révolutionnaire dans la ville de Tours où il réside. Le groupe est à l’origine d’un appel à la constitution d’un grand rassemblement révolutionnaire. L’idée fera long feu. Mais, avec l’écrivain Daniel Guérin, il participe l’année suivante à la fondation d’un Mouvement communiste libertaire qui marque la renaissance du courant et d’où procède, non sans diverses vicissitudes organisationnelles, l’Alternative libertaire, fondée en 1991 et au succès de laquelle il a beaucoup contribué.
Régénérer l’anarchisme par quelques piqûres marxistes
Georges Fontenis était tout le contraire d’un militant sectaire. Il rejoignait l’écrivain Daniel Guérin dans sa volonté de régénérer l’anarchisme par quelques piqûres marxistes. Tous deux estimaient que le meilleur de la tradition libertaire pouvait bien se greffer sur les héritages les plus pertinents des socialismes marxistes dans une perspective toujours résolument anti-autoritaire. De cette préoccupation, Fontenis nous a laissé quelques textes écrits dont un premier Manifeste du communisme libertaire rédigé pour la FCL en 1953. Les dernières années de sa vie, il s’était consacré davantage à l’écriture. On relève une étude sur les Amis de Durruti, un groupe libertaire dissident qui dans l’effervescence mortelle de la Barcelone de 1937 refusait la dérive de la CNT. En 2002, parut aux éditions Bénévent son dernier ouvrage - Non-conforme - où s’exprimait encore sa volonté iconoclaste de lever les tabous des dogmes anarchistes. Un brin provocateur, il y invitait à revisiter la question de l’État, estimant nécessaire de militer pour l’appropriation sociale des services publics et critiquant la pauvreté de la réflexion théorique libertaire sur le sujet. Ses mémoires politiques constituent son ouvrage majeur. Paru initialement sous le titre L’autre communisme en 1990 (aux éditions Acratie), le livre portait le sous-titre Histoire subversive du mouvement libertaire. Il y revisitait notamment toute l’histoire de la FCL, critiquant durement les pesanteurs et le conservatisme d’un anarchisme humaniste bien inoffensif, n’hésitant pas à revenir sur ses propres manquements et erreurs. Réédité plusieurs fois depuis par les éditions de l’Alternative libertaire (la dernière fois en 2008), le livre constitue une source importante de l’histoire du mouvement anarchiste dont Georges Fontenis fut incontestablement l’un des acteurs les plus marquants.
Stéphane Moulain