Le mouvement contre la réforme des retraites a surpris tout le monde, par sa force, sa longévité, ses formes, et le soutien massif qu’il a gagné.
Il s’agit de la confirmation du rejet des politiques libérales par une partie importante des jeunes, des salariéEs, en raison des souffrances qu’elles imposent mais aussi de l’injustice du système qu’elles incarnent et défendent. Cette confirmation vient dans une période nouvelle et ce n’est pas rien : elle vaut comme première réponse à ceux qui veulent faire payer la crise à la majorité de la population, après le mouvement avorté en 2009. À la logique du tous contre tous, la mobilisation a répondu directement sur le terrain politique, revendiquant la solidarité contre l’injustice sociale, et lui donnant une réalité par ses pratiques et par sa nature, posant de fait des questions politiques globales, d’autant que la question des retraites est apparue clairement comme un choix de société.
Il s’agit du mouvement social le plus puissant depuis longtemps. Si l’entrée en grève a été difficile, il n’empêche qu’en nombre de personnes mobilisées, on est très au-delà de 1995. La grève générale n’a pu se développer, mais le mouvement de grève reconductible ou répétée a été, pour la première fois depuis longtemps, réellement interprofessionnel, unissant des secteurs du public et du privé, auxquels est venu s’ajouter le mouvement de la jeunesse. Depuis 1995, les mobilisations s’appuyaient sur un secteur en lutte (issu du service public, cheminots, enseignants, et la jeunesse), et cela a marqué notre compréhension de la situation. C’est très différent cette fois, au-delà du cas des raffineries.
Aux secteurs mobilisés dans la grève viennent s’ajouter regroupements interprofessionnels, intersyndicales locales, assemblées générales, autant de cadres qui ont permis les centaines de blocages organisés chaque jour. En un sens, le mouvement actuel épouse nettement les frontières de classe : c’est celui du salariat, non seulement comme manifestation publique d’un fait statistique, mais également comme expression d’une réalité sociologique et politique. C’est ainsi que le passage de 60 à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite a pu être considéré comme concernant tout le monde. Du coup, nous aboutissons à ce que tout le salariat – ceux et celles qui ont été salariéEs, qui le sont ou le seront – se retrouve d’un même côté. Et la mince couche des privilégiés de la fortune de l’autre.
Si le mouvement a été et demeure aussi politique, c’est aussi en raison de la crise du pouvoir sarkozyste et de l’affaiblissement de sa base sociale, amputée notamment de secteurs importants des travailleurs modestes qui avaient cru aux promesses du candidat de 2007. Le sarkozysme est aujourd’hui démuni, sans discours ni projet à l’adresse de l’ensemble de la population. La politique raciste et sécuritaire, malgré ses effets désastreux et durables, n’y a pas suffi. Le mouvement pour les retraites est la concrétisation, la manifestation publique de cette rupture. C’est donc également une protestation contre « le président des riches ». Rien n’a été oublié, ni la nuit du Fouquet’s, ni le bouclier fiscal, ni l’affaire Bettencourt et les liens étroits avec les plus riches d’entre les riches.
Pourtant, la loi est votée et sera, selon toute vraisemblance, promulguée. Il en aurait été autrement si la grève avait été générale. Et, s’il est évident que l’unité syndicale a constitué un facteur décisif pour que le mouvement ait lieu (de même que la force du mouvement a constitué un facteur décisif du maintien de l’unité syndicale…), il est tout aussi évident que les grandes centrales voulaient à tout prix éviter un affrontement direct avec le pouvoir. Dès lors, le fait que l’auto-organisation ait au total été assez faible et n’ait pas permis de bousculer les rythmes de l’intersyndicale a pesé lourd sur l’issue prévisible du mouvement.
Reste à mener la discussion sur les conséquences sociales et politiques du déroulement de cette séquence mais, aussi, de son issue. Il faut prendre le temps de l’analyse et de la réflexion. Le NPA a joué tout son rôle, au cœur des mobilisations. Il lui faut maintenant prendre la mesure de ce que le mouvement révèle mais, surtout, modifie dans la situation, dans le mouvement syndical, dans la jeunesse, dans ce qui apparaît comme une nouvelle génération combative. Et de ce que cela nous donne comme tâches, en cohérence avec notre projet politique.
Le 28 octobre 2010.