En 1990, Politis publie l’appel « Le temps de la contre-offensive est venu » rédigé, entre autres, par Gilles Perrault. Signé par 250 personnalités (artistes, figures de la Résistance, militants…), ce texte sans concession fait le constat de la progression électorale du Front national depuis 1983 et de la nécessité d’une réponse politique face à ce danger. C’est de cet appel que naîtra le réseau antifasciste Ras l’front. Àune époque où l’on débat d’intégrer le FN dans le jeu démocratique, l’appel le caractérise comme un parti fasciste. En faisant l’analyse des reculs opérés par la gauche notamment en matière sociale et d’immigration, le texte martèle qu’on ne peut combattre efficacement le FN en faisant des compromis douteux. Il revendique au contraire que « le combat antiraciste ne sera gagné que par l’affirmation sans compromis de nos propres valeurs ». En posant le problème sur le plan politique, l’appel tranche avec le discours moraliste de l’antiracisme de l’époque incarné par SOS Racisme. Pour Anne Tristan1, cette posture politique et pas seulement morale fait écho aux marches de 1983 et à leur revendication toujours subversive d’égalité des droits.
Le texte recueille de nombreuses signatures surtout après la profanation en mai 1990 du cimetière juif de Carpentras. Sont donc mis en contact des gens d’horizons très divers, déjà militants ou non, déterminés à agir contre les idées du FN. Cela donne naissance à des collectifs locaux, indépendants dans leurs actions mais liés par la charte du réseau (180 collectifs recensés en 1998). « C’était une construction à partir du terrain, et non quelque chose de centralisé. Il s’agissait d’irriguer plein de ruisseaux antifascistes de même qu’à la fin des années 1950, plein de fosses à purin ont alimenté l’extrême droite alors moribonde. C’était une époque de réseaux et Ras l’front a contribué à cet engagement politique en dehors des partis » se souvient Anne.
Réseau antifasciste
Le réseau se dote d’un journal, Ras l’front, qui permet d’investir l’espace public, de s’opposer aux militants FN et de reprendre du terrain notamment sur les marchés. Et d’un symbole, le triangle rouge emprunté aux déportés politiques des camps nazis, marqueur de résistance antifasciste. Le choix est fait de ne pas intervenir médiatiquement au niveau national sous forme d’un porte-parole « antinomique avec l’idée d’un réseau pluraliste de collectifs » selon Anne. Ce qui n’empêche pas des coups d’éclat : le 1er Mai 1995, le discours de Le Pen est perturbé par le déploiement de banderoles (dont une du toit de l’Opéra).
Impossible de citer toutes les initiatives des collectifs. Vigilance, mémoire, immigration, ordre moral, lois liberticides, contre les alliances FN-droite aux régionales de 1998, information aux élections prud’homales et HLM, participation au mouvement antiguerre et aux FSE, travail avec le monde de la culture, sur internet, etc. Tous les terrains sont investis avec plus ou moins de bonheur dans la recherche de l’unité pour le harcèlement démocratique des extrêmes droites.
La scission du FN en 1998 fait croire à certains que le combat est gagné ; le rebond électoral du FN en 2002 donne raison à ceux qui ont continué. L’arrivée de nouveaux militants donne un second souffle au réseau qui voit refleurir des collectifs éteints, malheureusement happés par l’accélération des attaques liberticides et xénophobes dès 2002. C’est ce trop-plein qui explique l’épuisement du réseau jusqu’à sa dissolution en 2008. C’est aussi la nécessité de refonder notre analyse et redéfinir nos modes d’action face aux droites autoritaires et xénophobes au pouvoir et à des extrêmes droites européennes toujours influentes.
Si Ras l’front a contribué par son travail unitaire de vigilance et d’action à maintenir des digues autour de l’extrême droite et à continuer à caractériser le FN comme un parti fasciste, le danger est toujours là. L’appel disait en 1990 que « leurs avancées sont faites de nos reculs ». Malheureusement le constat est toujours aussi vrai ; heureusement, grâce à l’école de formation antifasciste qu’a été Ras l’front, des bases ont été posées pour continuer à résister et enfin un jour ne plus reculer.
Antoine Sindelar (Remerciements à Anne Tristan pour sa participation).
1. Cofondatrice du réseau Ras l’front, Anne Tristan a publié Au front, récit de son entrisme dans une section FN de Marseille en 1987, et Petit manuel de combat contre le Front National avec René Monzat en 2003. Propos recueillis en octobre 2010.