Peux-tu revenir sur la création du réseau No Pasaran ?
Le point de départ est la création au début des années 1980 à Nanterre d’un collectif et d’une revue antifasciste, REFLEXes - Réseau d’étude, de formation et de lutte contre l’extrême droite et la xénophobie. Les premiers numéros de la revue sont plutôt consacrés aux questions sécuritaires et à l’immigration. Ce n’est que quelques années plus tard, avec la disparition de deux revues antifascistes Article 31 et Celsius que le travail de recherche et d’analyse sur l’extrême droite devient progressivement dominant. Peu après, un groupe qui prend pour nom Scalp (Section carrément anti-Le Pen) se constitue à Toulouse : il entend s’opposer au meeting que le FN s’apprête à organiser dans la ville. Ce groupe, qui devait être éphémère se fixe pour but de dépasser le strict cadre de la manifestation « grand public » et de marcher en direction du rassemblement du Front. Devant le succès, d’autres groupes verront rapidement le jour sur l’ensemble du territoire, aidé en cela par les liens établis avec le groupe de rock « Bérurier noir » dont une partie du service d’ordre est membre des Scalp et de REFLEXes. No Pasaran, enfin, naît en 1992 et a pour but de mettre en réseau les différents groupes Scalp, les membres de REFLEXes et d’autres groupes antifascistes proches.
Peux-tu définir la ligne politique/idéologique de No Pasaran ?
Au départ, diverses sensibilités politiques composaient les groupes Scalp. C’est avec la création du réseau No Pasaran que nous avons revendiqué notre appartenance à la mouvance libertaire et aux mouvements sociaux. Se réclamant toujours aujourd’hui d’un antifascisme radical, No Pasaran investit les luttes anticarcérales, anticapitalistes, contre les lois sécuritaires et combat l’homophobie et le sexisme. Nos militants sont partie prenante des luttes sociales comme ce fut le cas lors de la lutte des précaires de Mc Do, lors du mouvement contre le CPE... Nous cherchons à mettre en avant l’expérimentation et l’échange de pratiques, pas uniquement avec la sphère libertaire, d’ailleurs (préparation et organisation de contre-sommets, liens avec les teuffeurs). Du point de vue organisationnel, chaque groupe est autonome par rapport aux autres. Il n’y a pas de bureau politique ou de permanent qui décide tout à la place des militants. Toutes les décisions sont prises lors de coordinations où se retrouvent les militants et militantes du réseau. Nous disposons également d’un matériel commun et d’un journal No Pasaran au travers duquel les groupes s’expriment. Par ailleurs, l’appartenance à No Pasaran et à une autre structure politique ou syndicale est possible à partir du moment où les gens ne participent pas aux élections.
No Pasaran a bientôt 20 ans. Quel bilan tirez-vous de l’expérience antifasciste radicale ?
C’est évidemment assez difficile à mesurer... Au niveau de la culture et plus précisément du rock chez les jeunes, s’il n’y avait pas eu toute cette mobilisation, ce harcèlement entre autres du Scalp, les groupes de musique d’extrême droite s’exprimeraient plus facilement. En France, ils sont obligés de se cacher pour organiser des concerts clandestins alors qu’en Allemagne, ils rassemblent plusieurs milliers de personnes. Grâce à l’antifascisme radical des années 1980 et 1990, la tentative de créer une contre-culture d’extrême droite (musique, BD...) est restée ultra confidentielle en France alors que dans d’autres pays européens ou en Amérique du Nord, elle est parvenue à toucher une plus large partie de la population.
Et le sarkozysme dans tout ça ?
Le sarkozysme n’est pas un fascisme. Pour nous le sarkozysme est la forme la plus pure de la droite ultra-libérale décomplexée et arrogante et c’est déjà suffisant. Elle n’hésite pas à venir chasser à l’extrême droite mais ce serait une erreur de la traiter de fascisme.
Propos recueillis par Raoul Guerra.