Les événements qui ont bouleversé la Tunisie en moins de quatre semaines, ont aussi exercé une immense influence sur tous les autres pays arabophones. Partout, des fractions du peuple se sont inspirées de la révolte sociale et démocratique des Tunisiens et Tunisiennes pour s’opposer à leurs propres conditions de vie, à leur dictateur, aux mafias qui trustent la vie économique de leur pays. Les termes français en rendent d’ailleurs compte, fréquemment sous la forme de « risque de contagion régionale », ce qui est doublement faux. Faux parce que « contagion » évoque une maladie, et parce qu’au lieu de « risque », il faudrait plutôt parler de chance ou d’opportunité !
Parfois, c’est la solidarité avec le peuple tunisien qui a permis, dans un premier temps, de mobiliser. À Nouakchott (Mauritanie) et à Alger – à l’appel du syndicat autonome Snapap –, des rassemblements de soutien au peuple tunisien ont été organisés dès le 6 janvier. D’autres, programmés dans les villes marocaines de Rabat et Casablanca, ont été interdits par les autorités locales qui craignaient que la population fasse « trop » le lien avec la situation dans leur propre pays…
Une vague de mobilisations pour des revendications locales – sociales, économiques, démocratiques – a déferlé dans les jours suivants. En Jordanie, près de 4 000 personnes suivant les mots d’ordre de divers mouvements d’opposition (gauche, syndicats, mais aussi islamistes) ont manifesté à la mi-janvier devant le Parlement à Amman « contre la vie chère ». En Algérie – où des émeutes de la jeunesse se sont produites du 6 au 9 janvier –, c’est l’opposition politique, mais aussi des structures syndicales qui ont tenté d’organiser des manifestations, le 22 janvier et appellent à une autre le 9 février.
En Égypte, une coalition d’organisations baptisée « Alliance du 6 avril » – inspirée de la date de la grève générale ouvrière, très suivie, d’avril 2008 – a appelé à une manifestation « contre la répression, contre la vie chère et la corruption », le 25 janvier. Celle-ci a rapidement créé un véritable tremblement de terre. Ainsi pas moins de trois millions de personnes ont manifesté le 1er février, au huitième jour des protestations, demandant au régime de « dégager ». Le soir même, le président Hosni Moubarak – sur la défensive – déclara qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat en septembre 2011. À l’heure où nous mettons sous presse, il est trop tôt pour savoir si cette « offre » suffira à garantir la « transition ordonnée » que l’administration américaine a explicitement demandée à Moubarak, ou si l’explosion sociale en cours ruinera ces plans. Quoi qu’il en soit, les choses auront énormément changé en Égypte après ces jours et ces semaines d’une intensité inouïe : une société s’est débarrassée de la peur qui la paralysait.
Au Yémen, des étudiants ont manifesté le 16 janvier, appelant « les peuples arabes » à « se soulever contre leurs dirigeants ». Dans la nuit du 22 au 23 janvier, l’opposante yéménite Tawakel Karman de l’organisation « Femmes sans chaînes » a été arrêtée par le pouvoir, ce qui a déclenché la protestation de plusieurs centaines de journalistes et de leur syndicat.
D’importantes manifestations, réprimées, ont eu lieu au Soudan et un appel à manifester était lancé pour le 4 février en Syrie...
Tous les présidents, dictateurs et rois arabes craignent « l’onde de choc » de la révolution tunisienne, même si les situations locales ne sont pas identiques à 100 %. Ainsi, la bourgeoisie tunisienne a pu en partie soutenir le soulèvement populaire, parce qu’elle était elle aussi systématiquement soumise au racket par le pouvoir mafieux en place. La Tunisie étant de loin l’un des pays les plus répressifs au niveau de la liberté d’expression, cela laissait nettement moins de « soupapes » à la société, la moindre critique étant bannie avant le début du soulèvement. Cela à la différence par exemple de l’Algérie, où les habitants sont nombreux à insulter « le système » à longueur de journée, alors même que les contre-pouvoirs sont faibles et que l’opposition souffre d’un défaut de structuration…
Le seul gouvernement arabe à saluer d’abord – officiellement – le soulèvement en Tunisie fut l’Autorité palestinienne, en Cisjordanie. Or, quand de jeunes Palestiniens (qui ne sont liés à aucune organisation politique) ont pris l’initiative d’organiser un rassemblement de solidarité avec le peuple tunisien, mercredi 19 janvier à Ramallah, ils en furent empêchés. Au prétexte qu’un rassemblement de soutien aux prisonniers palestiniens en Israël avait déjà été prévu à la même date, le Fatah s’opposa au rassemblement de solidarité et transforma sa propre manifestation – celle pour les prisonniers – en contre-manifestation de fait. Opposant ainsi deux causes, justes et légitimes, l’une à l’autre. Plus tard, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, prit même fait et cause pour Hosni Moubarak alors que celui-ci faisait face à la colère de son peuple…
Ailleurs, les gouvernements ont préféré se taire sur la situation tunisienne, tout en se montrant préoccupés comme les autorités marocaines qui viennent d’imposer un quota d’embauches de chômeurs dans la fonction publique. Le dirigeant libyen Kaddafi (au pouvoir depuis… septembre 1969) exprimant clairement sa préférence pour Ben Ali plutôt que pour la révolution tunisienne. o
Bertold du Ryon, le 3 février 2011.