Le 38e festival de la bande dessinée d’Angoulême, présidé par Baru, a mis en valeur la lutte des classes à travers des expos cinglantes.Angoulême, c’est l’usine ! Au fil des ans, le festival de la BD est devenu vraiment énorme et, tout en ayant un côté très convivial, il peine peut-être aujourd’hui à accueillir ses 200 000 visiteurs. Quoi qu’il en soit, malgré l’organisation parfois un peu confuse, le festival donne une célébration du neuvième art à la mesure de son dynamisme, et a de quoi satisfaire tous les publics, des simples curieux aux BDphiles les plus exigeants. La réussite de cette 38e édition doit beaucoup à la présidence de Baru. Selon le principe institué, le dernier lauréat du grand prix devient pour un an l’émissaire du festival et apporte sa touche personnelle à la manifestation. Pour Baru, c’est d’abord dans le choix de la bande-son, lui qui se plaît à souligner le voisinage qui a souvent existé entre rock et BD. La BD et le rock sont deux arts populaires, qui recherchent la spontanéité avant tout et procèdent « d’une même énergie », dit-il. Et avec lui le concept traditionnel du concert de dessin, décliné de multiples façons au gré du festival, prend une dimension particulièrement réjouissante. Accompagné notamment du dessinateur Chauzy, il se charge d’animer la soirée événement du festival en illustrant en direct la prestation scénique du groupe Heavy Trash. Cela donne un concert véritablement épique : une bagarre générale finit par prendre forme sur la planche à dessin en réponse au rockabilly enfiévré de John Spencer. Puis un autre compère dessinateur se mêle à la partie, Cromwell, aux sympathies punks bien connues. Ses personnages iroquois s’incrustent sur le papier et les artistes n’ont d’autre issue que de conclure leur œuvre éphémère en y mettant le feu, tandis que les musiciens balancent joyeusement leurs instruments. Le public finit debout dans un théâtre qui n’offrait que des places assises. L’autre face, plus sérieuse, du talent de Baru, se livre à travers son expo présentée à la Cité de la BD, intitulée DLDDLT, pour Debout les damnés de la terre. Une scénographie soignée nous fait pénétrer dans son univers. Ses albums débordants d’empathie pour les laissés-pour-compte, témoignent en effet de ses racines dans la Lorraine industrielle, du brassage de l’immigration, du quotidien dans une cité ouvrière de l’époque. « J’ai fait de la condition ouvrière mon sujet permanent. La BD est mon désir de faire et de dire quelque chose qui me paraît essentiel, un besoin de prendre la parole. Je ne dessine pas parce que j’ai envie mais parce que je le dois ». Il n’est pas le seul dans la BD et ses planches sont aussi mises en rapport avec d’autres de Larcenet, Davodeau, Lax. Dernier moment de choix dans la programmation par ailleurs foisonnante du festival, l’expo réalisée par Grégory Jarry et Otto T. à partir de leurs albums Petite histoire des colonies françaises. Elle raconte, en parodiant une authentique exposition coloniale, cinq siècles de colonisation, « en rentrant bien dans les détails pour qu’on ne loupe aucun aspect positif ». Les deux auteurs innovent dans un registre étonnant, grâce à un graphisme faussement enfantin qui marie à merveille humour cinglant et aspect documentaire très poussé. Délicatesse suprême, l’expo est assortie d’un faux dossier pédagogique « à partir de la quatrième » qui fait la nique aux tentatives de manipulation des programmes scolaires… Matthieu Juan