Publié le Vendredi 30 janvier 2009 à 12h50.

La BD au féminin

Quatre bandes dessinées récentes abordent, chacune dans un style différent, le parcours de femmes.

► Appollo et Oiry, Pauline (et les loups-garous), Futuropolis, 15 euros

► Cati Baur, Vacance, Delcourt, 14,95 euros

► Emmanuel Moynot, L’Heure la plus sombre vient toujours avant l’ombre, Futuropolis, 15 euros

► Étienne Davodeau, Lulu, femme nue, Futuropolis, 16 euros.

Quand la bande dessinée aborde la question des femmes, c’est sous un angle résolument social. Le road-movie domine, et c’est sombre, voire franchement sombre. Il y a des histoires de femmes qui plaquent tout pour tout recommencer : le thème d’Anne Sylvestre, qui chantait les vacances de Clémence, n’est pas très éloigné. Lulu, dans l’album de Davodeau, a une quarantaine d’années quand elle décide de tout plaquer, maris et enfants, pour partir quelques semaines en toute liberté. Ses amis essayent de retracer son petit périple et de comprendre ce qui a bien pu se passer, sans juger. C’est un récit de liberté retrouvée, celui d’une femme qui ne veut pas culpabiliser, sans pour autant couper totalement les ponts.

Pas question non plus de culpabiliser, dans Vacance, de Cati Baur. L’héroïne est ici plus jeune, elle laisse elle aussi son mari, ses enfants et son travail, pour tout recommencer en partant, sur une aire d’autoroute, avec un routier italien. Si le propos est, de prime abord, plus léger, car Marie s’invente une nouvelle vie en séduisant un riche milliardaire, le fond et surtout la fin de l’histoire gardent un goût amer. Pour autant, dans ces deux récits, pas de misérabilisme, car le départ est un acte émancipateur, envisagé du point de vue des femmes.

Il est encore question de routier dans L’Heure la plus sombre, récit de la passion de deux éclopés de la vie. Nouria, serveuse dans un restoroute, est protégée par Jean-Claude, quand son patron veut la frapper. Il l’emmène au loin, mais la protection devient vite étouffante et l’acte libérateur se mue en enfermement. Pas question non plus de donner une image caricaturale des hommes, car Nouria trouve un appui grâce au meilleur ami de Jean-Claude. Ce récit est donc aussi celui d’une passion qui tourne en relation exclusive et néfaste.

L’album d’Appollo et de Oiry, sans doute le plus percutant, commence en road-movie adolescent, avec Angus et Pauline dans une voiture. Sauf qu’Angus a éclaté à coups de pioche la tête du père de Pauline, qui la violait, et ils se sont enfuis dans une voiture volée à sa mère. Ils rêvent de Canada, mais ils se retrouvent planqués dans le camping municipal d’une petite ville de l’Ouest, elle travaillant dans une usine de produits de la mer, lui ne faisant rien. À l’usine, Pauline rencontre Jess, qui séduit Martignole, le nouveau du service marketing. Angus traîne, il rencontre Chloé, serveuse, qui sort avec une bande de motards. Pauline aime Angus, mais elle ne veut pas faire l’amour avec lui, malgré son insistance, car il lui faut du temps. Et puis, il y a ces loups-garous qui semblent la poursuivre… L’ouvrage part du réel le plus concret pour se transformer, peu à peu, en conte fantastique, où les hommes et le sexe deviennent des menaces de plus en plus oppressantes. Désir et traumatisme se muent en danger, en peur panique d’hommes qui, dans le regard de Pauline, sont tous les mêmes, vus à travers le prisme de l’appétit sexuel. L’ouvrage joue sur toutes les ambiguïtés du langage populaire, qui associe le loup (« voir le loup », « avoir peur du loup ») à toute une série de connotations sexuelles.

Le point commun de tous ces ouvrages est d’abord de posséder un arrière-fond social. Les héroïnes sont des femmes qui travaillent, serveuses, ouvrières ou enseignantes. Le point de vue des auteurs n’est pas explicitement militant ni didactique : il s’agit de raconter une histoire, sans la subordonner à la démonstration.

Les quatre albums sont, de ce fait, très réussis. Le graphisme contribue à l’intérêt des histoires, dans des styles différents : trait précis de Davodeau, dessin tout en rondeurs de Cati Baur, dessins sombres de Moynet, expressifs de Oiry. Ces œuvres sont riches et contradictoires, à la fois reflet d’une plus grande émancipation des femmes, puisque partir en laissant tout n’est plus un sujet tabou ni condamné moralement et, en même temps, de la persistance d’une oppression, puisque la fuite, même pour tout recommencer, semble être le seul horizon possible. 

Sylvain Pattieu