Article publié par le site A l'Encontre
Orlando Gutiérrez est allé dans les profondeurs des mines de Colquiri, dans la province de l’Inquisivi, dans le département de La Paz, pendant quinze ans. On peut dire qu’il a combattu sous terre tout en extrayant de l’étain et du zinc. Il est aujourd’hui le point de référence le plus élevé de la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie (Federación Sindical de Trabajadores Mineros de Bolivia-FSTMB). Il est un homme clé dans le soutien du syndicat à la candidature de Luis Arce Catacora, l’économiste [et ancien ministre l’Economie] qui, le 6 septembre – à condition que les élections aient lieu – tentera de rendre la présidence au MAS (Mouvement vers le socialisme), dirigé par Evo Morales.
Página 12 [quotidien argentin] s’est entretenu avec Orlando Gutiérrez en ces jours de pandémie déclenchée et de recul des conditions de vie du mouvement ouvrier dans son pays.
En ce 10 juillet, huit mois se sont écoulés depuis le coup d’État civilo-militaire. Que pensez-vous de ce qui s’est passé jusqu’à présent en Bolivie ?Cela a été désastreux pour notre histoire. Mais en même temps, c’est quelque chose qui nous apprendra à prendre soin de ce que nous n’avons pas été capables de défendre à l’époque. Aujourd’hui, nous faisons une évaluation de ce gouvernement illégitime [présidé par Jeanine Áñez] et nous disons que c’est un désastre. A noter que le ministre de la Défense Luis Fernando Lopez, un ancien militaire, un sanguinaire, a menacé un citoyen de le faire disparaître en dix secondes s’il le voulait. Il a été récompensé: à son poste de ministre de la Défense, ils ont ajouté celui de ministre de la Santé.
En cela, le gouvernement de Jeanine Añez est similaire à celui de Jair Bolsonaro, qui a également nommé un militaire comme ministre de la Santé, n’est-ce pas ?Oui, nous savons que des politiques néolibérales ont été imposées en Amérique du Sud, elles ont envahi le continent. Soudain, la Bolivie était l’un des pays qui subissait ce choc avec le renversement du gouvernement du camarade Evo Morales. Et maintenant nous nous retrouvons à essayer de récupérer la démocratie. Nous voulons retirer le pouvoir des mains des putschistes, marionnettes du gouvernement nord-américain, et ce en moins d’un an. Avec l’unité et la force de combat du peuple. Et c’est quelque chose qui, pour moi qui ai été mineur pendant quinze ans dans le sous-sol bolivien, est une grande responsabilité. J’espère qu’aucune mesure spéciale ne devra être prise, mais s’ils nous forcent, le peuple est prêt à s’élever au plus haut niveau de la rébellion.
La Fédération minière que vous dirigez fait partie de la Centrale des travailleurs boliviens (COB). Dans quelle mesure avez-vous influencé la stratégie de confrontation avec le régime putschiste ?Si nous parlons des mineurs, nous parlons de l’histoire de la Bolivie. Si l’on parle de la création de la glorieuse Fédération bolivienne des travailleurs des mines, elle est l’épine dorsale de la COB. Nous nous considérons comme le fer de lance de la lutte. C’est pourquoi nous comptons malheureusement de nombreux martyrs et c’est ce que nos ancêtres nous ont appris, c’est notre héritage. Ils nous ont laissé ce principe unique de lutte pour que nous ne soyons plus opprimés par les gouvernements néolibéraux et capitalistes.
Sur leurs casques de mineurs, sur leurs banderoles, sur leurs drapeaux, ils portent toujours l’image de Che Guevara. Qu’est-ce que cela signifie pour vous, 53 ans après son assassinat en Bolivie ?Le commandant Ernesto était très attaché aux idéaux socialistes et aux principes de dignité et de souveraineté. C’est ce que nous avons appris dans la lutte pour une «Bolivie guévariste», pour lutter contre l’oppression. Nous ne sommes pas violents, ceux qui génèrent l’inégalité sociale sont violents et non ceux qui la combattent. C’est pourquoi l’image de notre Che Guevara sera toujours présente dans les réunions minières. En tant qu’emblème de la COB, de notre fédération et de nombreuses institutions en Bolivie.
Mardi dernier, 14 juillet, le mouvement ouvrier est sorti pour défiler dans tout le pays. Est-ce le début d’un plan de lutte ? C’était un échauffement. On ne peut pas laisser les gens dormir. Nous avons vécu quatorze ans de gouvernement avec notre camarade Evo Morales. Nous avons vraiment eu des problèmes, des différences, et même quelques mobilisations sporadiques (face au gouvernement). Mais avec ce coup d’État, ils nous ont surpris. Nous savons que les élections approchent à grands pas et nous connaissons les astuces des malpropres qui sont au gouvernement. Mais le peuple reste éveillé.
Qu’est-il arrivé aux différentes préformules du MAS, à votre association avec David Choquehuanca, puis à l’apparition d’Andronico Rodriguez et enfin à la formule dirigée par Luis Arce Catacora ?Je suis le chef d’une nouvelle génération, le plus jeune dirigeant de la Fédération des mineurs et je me sens très fier lorsque, dans le cadre d’une assemblée générale de la COB, il a été décidé que nous devrions avoir un candidat à la vice-présidence et que grâce à l’activité syndicale et revendicative que nous menons, mon nom est sorti. À ce moment-là [début décembre 2019], un bon leader est apparu comme possible candidat, Andrónico Rodriguez del Chapare, du mouvement paysan, comme moi qui représente le mouvement ouvrier bolivien. Donc il y a eu des problèmes, je ne peux pas le nier, beaucoup de gens en ont débattu. Mais nous n’avons pas voulu nous battre pour m’obtenir une position. J’espère que plus tard nous pourrons consolider des choses plus importantes au profit de notre chère Bolivie. [Finalement, le 19 janvier, ont été désignés les deux candidats aux élections du MAS: Luis Arce Catacora à la présidence et David Choquehuanca Céspedes – dirigeant politique aymara et ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement d’Evo Morales – à la vice-présidence. Fin janvier 2020, Andrónico Rodríguez comme Orlando Gutiérrez ont appelé à l’unité pour les élections. Réd.]
Vous représentez la COB, Andrónico Rodríguez représente les paysans et qui représente le candidat à la présidence Luis Arce Catacora ?La candidature de notre camarade Lucho (Luis Arce) est le fruit d’une analyse approfondie. Elle est due à la question économique, à l’accompagnement en ce comaine qu’il a eu avec notre camarade Evo. Alors qui mieux que lui peut renforcer l’économie. Car les quatre ou cinq années à venir seront consacrées à la reconstruction.
Quels ont été les dommages causés au pouvoir d’achat du «travailleur moyen« en Bolivie durant ces huit mois de gouvernement de Jeanine Añez ?Nous avons connu un recul de 60% à 70% en termes de pouvoir d’achat. Celui qui achetait autrefois dix biens avec 100 Bolivianos n’en achète plus que quatre aujourd’hui. Dans le secteur minier, depuis la fermeture des frontières, il n’y a plus d’exportations, plus d’importations, nous faisons face aux problèmes de la survie, se pose même le problème de la perception des salaires. De plus, suite au décret suprême 4272 pris le 23 juin 2020, se produit pratiquement la fermeture et la privatisation des entreprises publiques.
Que pensez-vous du groupe d’anciens fonctionnaires qui se sont réfugiés à l’ambassade du Mexique depuis le coup d’Etat ?Je l’ai déjà dit à notre camarade Evo lorsque je me suis rendu à Buenos Aires à deux ou trois reprises. Et il en va de même pour les frères qui sont à l’ambassade du Mexique et en dehors de la Bolivie. La seule façon pour nous de faire sortir tout le monde de l’ambassade est de reprendre le pouvoir. Pour gagner les élections nationales du 6 septembre et je suis très sûr que nous allons y parvenir. Je peux déjà imaginer ce que ce sera d’accueillir Evo à l’aéroport d’El Alto. Il s’agit d’un projet conscient de la classe sociale et aujourd’hui nous le démontrons en mettant nos vies en danger ou en étant persécutés et menacés. Nous sommes en première ligne et nous allons atteindre notre objectif sans rien attendre en retour. Si nous gagnons les élections, je dirai que la mission a été accomplie.
Entretien avec Orlando Gutiérrez conduit par Gustavo Veiga, publié dans Pagina 12, le 16 juillet 2020; traduction rédaction A l’Encontre.