Suppression des « open bars », restriction à la vente d’alcools…, beaucoup de bruit a été fait, sur le volet « santé publique » de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST)*. Cet écran de fumée a été habilement utilisé par la ministre pour masquer aux yeux du public les enjeux essentiels de cette loi, qui est d’abord l’instrument de la privatisation de l’hôpital public.
Les cortèges imposants d’hospitaliers, dans les manifestations du 29 janvier et du 19 mars, ont réclamé le retrait de la loi Bachelot. Des campagnes d’explications, menées par les syndicats de médecins et de personnels hospitaliers ainsi que par les collectifs et comités de défense des hôpitaux, ont permis une sensibilisation des usagers de la santé aux attaques contre l’hôpital. Mais, en l’absence d’un mouvement de l’ampleur de celui des enseignants chercheurs et des étudiants, que les dirigeants des principales fédérations syndicales refusent de construire, le projet HPST reste en l’état.
La loi HPST peut être synthétisée en deux idées-force qui en constituent la trame. « Externaliser » vers des opérateurs privés (médecine libérale de ville, cliniques privées commerciales, secteur social et médico-social associatif) une part croissante des missions de l’hôpital public, et en finir avec la place centrale de celui-ci dans le dispositif de soins. Achever la transformation de l’hôpital public lui-même en entreprise de production de soins dont la « rentabilité » et la « productivité » sont les premiers critères de fonctionnement. Loin de toute « rupture », ce projet se situe dans la stricte continuité du plan dit « Hôpital 2007 », élaboré sous Chirac. Il n’en constitue pas moins une nouvelle étape décisive en cherchant à créer une privatisation irréversible de l’hôpital.
De l’hôpital public
aux « missions de service public »
La loi HPST abolit totalement la distinction entre établissements publics et privés. Il n’y est plus question que « d’établissements de santé ». L’hôpital public cesse d’être la colonne vertébrale structurant le système de soins. Il n’en est plus qu’un élément parmi d’autres, en concurrence avec le secteur privé. Cette mesure s’inscrit dans les orientations de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) relayées par l’Union européenne. Elle prépare la libéralisation prévue des services de santé : toute place spécifique accordée à un service public étant assimilée à un « privilège » entravant la libre concurrence.
Les Agences régionales de santé, pivots de la privatisation
En 1996, la réforme Juppé avait créé les Agences régionales de l’hospitalisation. Avec les ARS, la loi HPST passe à une nouvelle étape. L’ARS gardera l’autorité sur l’ensemble des établissements d’hospitalisation publics et privés. Elle y ajoutera la responsabilité de la médecine de ville libérale et du secteur médico-social et assurera l’organisation et l’articulation dans la région de ces trois secteurs. Présenté comme un moyen de mieux organiser et de mieux coordonner les différents acteurs sur les « territoires de santé », le but assigné explicitement à ces ARS est de restructurer le paysage sanitaire dans la perspective de réduire la place que l’hôpital y occupe et de diminuer globalement les dépenses de santé.
Disposant des « enveloppes budgétaires » des trois secteurs, les ARS auront la possibilité de transférer les crédits accordés jusque là à l’hôpital à la médecine de ville ou au médico-social. L’opération inverse étant bien entendu exclue !
Les ARS auront la mainmise sur l’assurance maladie. Cette étatisation en rupture avec les principes d’origine de la Sécu favorisera la privatisation des prestations qui intéressent les assureurs. D’ores et déjà, il est prévu que des missions et des agents seront transférés à l’ARS. Les services de l’Etat DDASS/DRASS disparaissent au sein des ARS.
Communautés hospitalières de territoires et « partenariats public/privé »
Afin d’accélérer la restructuration du secteur public hospitalier, la loi HPST prévoit la création de « communautés hospitalières de territoires ». La fermeture de services d’un établissement sera une simple « réorganisation interne » à la « communauté hospitalière ». La résistance sera beaucoup plus difficile. La suppression des « doublons » et la généralisation de la polyvalence permettront la destruction de dizaines de milliers d’emplois. Le gouvernement entend également développer les « partenariats » entre établissements publics et privés, en confiant dans le cadre de « groupements de coopération sanitaire » les secteurs les plus rentables aux cliniques privées commerciales.
Les soins de « premier recours » confiés à la médecine libérale
Pour résoudre la lancinante question de la « permanence des soins » sur le territoire, la loi HPST prévoit le développement de « maisons médicales » regroupant médecins et professionnels libéraux.
On peut tout d’abord objecter que cette réponse, dans le cadre de la médecine libérale, n’en est pas une pour ceux qui n’ont pas les moyens d’avancer l’argent d’une consultation, de payer les franchises et autres dépassements.
Mais surtout, ce dispositif s’accompagne de la suppression des services d’hôpitaux de proximité. Un lieu de consultation (dont l’activité s’arrête le plus souvent à minuit) ne peut pourtant remplacer les services d’urgence, de chirurgie et les maternités des hôpitaux de proximité désormais transformés en services pour personnes âgées.
La « régulation » du secteur privé libéral et commercial : complément nécessaire de la privatisation
La loi HPST prévoit un encadrement de l’activité du secteur libéral et commercial. Les syndicats de médecins libéraux et de patrons de cliniques y dénoncent une insupportable « étatisation » portant atteinte à la « libre installation » et aux « libres tarifs ». Malgré les apparences, il ne s’agit pas là de mesures anti-libérales, mais au contraire du complément nécessaire de la privatisation de l’hôpital :
• Faire disparaître le service public suppose qu’un minimum d’engagements soit exigé de la part du secteur privé, faute de quoi les déserts sanitaires vont se multiplier, avec des conséquences sanitaires politiquement non défendables.
• Soumettre l’hôpital aux règles de management de l’entreprise privée.
Dans ce domaine la loi HPST ne fait que compléter certains aspects du plan « Hôpital 2007 », qui avait créé les outils de la « nouvelle gouvernance ». Elle donne encore plus de poids au directeur et fait disparaître chez les médecins l’illusion d’un pouvoir retrouvé (au moins pour certains d’entre eux) sur la gestion de l’hôpital. Il y aura « un patron et un seul, le directeur », le pouvoir médical sera totalement soumis aux exigences de la gestion, et les médecins eux-mêmes devront d’abord être des managers.
Les pâles « contre-pouvoirs » existant au sein de l’hôpital sont laminés (disparition du conseil d’administration, pleins pouvoir à un « directoire » sous le contrôle du directeur, etc.). Comme dans une entreprise privée, la rémunération des directeurs et des médecins managers dépendra des « résultats » financiers de l’hôpital-entreprise. Le directeur est en même temps soumis aux exigences du directeur de l’ARS. Celui-ci peut le relever de ses fonctions, s’il ne se montre pas assez « performant ».
Quelle alternative à la contre-réforme ?
Combattre cette contre-réforme ne peut se faire au nom de l’hôpital d’hier, mais pour un projet alternatif : un service public de santé permettant à tous d’accéder gratuitement à des soins de qualité et de proximité.
Ceci implique à la fois :
• un service public de santé intégrant l’hôpital public et des centres de santé publics et gratuits dans les villes et les quartiers ;
• l’expropriation des cliniques privées commerciales et leur transformation en établissements publics (intégration de leur personnel dans la fonction publique hospitalière) ;
• des moyens à la hauteur des besoins pour l’hôpital financés à 100 % par l’assurance-maladie, et notamment un plan emploi-formation permettant la création de 100 000 postes ;
• un hôpital démocratique, autogéré par ceux qui y travaillent et les représentants de ceux qui y sont soignés.
Dans la perspective d’un « tous ensemble », l’exigence du droit aux soins, comme celle du droit à l’éducation, concerne l’ensemble des salariés et des classes populaires, elle doit être portée par tous.
* Adopté le 18 mars par les députés, le projet de loi Bachelot sera examiné par le Sénat à partir du 12 mai.