Publié le Vendredi 16 décembre 2016 à 18h34.

« Aider les enfants à réfléchir le monde, sans prêchi-prêcha »

Entretien. Auteur de livres pour enfants, Henri Meunier a notamment écrit Au panier !1 et Robank des bois2. Il revient pour nous sur les enjeux sociaux du livre de jeunesse à travers sa propre expérience.

Comment devient-on auteur de jeunesse ?

Très basiquement, en écrivant des livres... C’est un métier où l’on produit nous-mêmes ce qui va nous permettre de vivre, et ensuite il faut le proposer aux éditeurs, il n’y a pas tellement d’autres façons de faire... Quand j’étais jeune, je n’étais pas très lecteur, je le suis devenu ado. Un jour, je suis tombé sur un album jeunesse, Jojo la Mache, que j’ai trouvé extrêmement brillant : en quelques mots, en quelques images, l’auteur, Olivier Douzou, y évoquait des grandes questions, la disparition, la mort, de façon très légère. Cette économie de moyen me parlait bien. Je me suis donc mis à lire de nombreux albums jeunesse, puis à en écrire. Ensuite, j’ai eu de la chance : j’ai envoyé 4 textes à l’éditeur avec lequel je voulais travailler, les éditions du Rouergue, qui en ont accepté un. Depuis, c’est un peu plus compliqué, car il peut y avoir des refus, ce qui n’est pas un problème, tout ne mérite certainement pas d’être publié, mais j’en vis depuis 10 ans. J’écris aussi des BD.

Au-delà des représentations un peu caricaturales sur ce type de littérature, que peut-on raconter avec un livre pour enfants ?

Comme dans le reste de la production littéraire, il y a beaucoup de bouquins dont le contenu n’est pas très intéressant, et cela n’est donc pas propre à la jeunesse... Il y a 10 % de la production qui est intéressante, le reste étant destiné au seul divertissement ou à l’éducation. On peut raconter tout ce l’on veut dans les livres jeunesse, mais tous les bouquins ne peuvent pas être édités chez tous les éditeurs... Ainsi, certains gros éditeurs grand public seront plus branchés par du storytelling à l’américaine ou des rééditions de Disney, mais d’autres sont dans une démarche plus littéraire. À partir de là, tu peux en faire ce que tu veux, la seule limite étant que l’éditeur apprécie ou pas. Moi j’essaye d’écrire des bouquins pour aider les enfants à réfléchir le monde, sans prêchi-prêcha, sans leur donner des idées prêtes-à-penser... parce que tout simplement cela ne sert à rien !

Dans certains de tes livres, certes tu ne défends pas des thèses mais on y trouve quand même une vision que l’on peut qualifier de politique sur l’ordre du monde, ses inégalités, ses injustices...

Il m’arrive de rebondir sur l’actualité. Au panier ! est sorti la première fois il y a dix ans au moment où Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur (d’ailleurs représenté dans l’album), est allé chercher des gamins issus de familles immigrées dans les écoles pour les expulser. On avait franchi un cran insupportable.

Moi je ne suis pas militant politique, et donc je ne me donne pas les moyens de changer ce monde, je n’ai pas cette énergie-là. En revanche, mon métier d’auteur – exprimer une idée, une envie, une opinion – me permet d’en donner une vision, la mienne, et d’essayer d’ouvrir les questions de façon à ce que les gamins se forgent leur propre vision du monde.

Évidemment, face à des choses qui me révoltent et me dégoûtent, comme dans Au panier ! le fait que l’on ne respecte pas la liberté de circulation, un des droits fondamentaux de l’homme inscrit dans une Convention que l’on a signée, c’est bien de donner aux enfants l’envie d’y réfléchir et d’en discuter entre eux. Ainsi, je montre la position schizophrène de la France, le pays des droits de l’homme qui foule aux pieds certains de ces droits de façon extrêmement violente. Dans les deux dernières pages, je montre que c’est une position obscurantiste, mais je m’arrête là, je ne vais pas plus loin. Et si les enfants ne sont pas d’accord, pensent autrement, grand bien leur fasse. Quelquefois, dans les classes où je peux être invité en tant qu’auteur, on a de vraies discussions, des gamins reprennent les idées de leurs parents... Le désaccord ne me gêne absolument pas du moment qu’il est exposé, que l’on en discute. J’essaye de ne pas asséner une vérité.

Propos recueillis par Manu Bichindaritz

 

  • 1. Illustré par Nathalie Choux, éditions du Rouergue, 2016, 11,70 euros (chronique : https://npa2009.org/idee… )
  • 2. Illustré par Nathalie Choux, série « Les trop super », Actes Sud Junior, 2016, 10,90 euros