«A quoi bon faire un livre qui parle de la jeunesse d’un homme ordinaire ? », cette question posée en conclusion du second volume de la série conçue et dessinée par Bruno Loth indique tout l’intérêt de ces deux ouvrages de bande dessinée : nous raconter le quotidien d’un ouvrier bordelais entre Front populaire et occupation. L’auteur met en image les mémoires de son père, Jacques Loth, apprenti puis ouvrier sur les chantiers navals de Bordeaux, à partir de mars 1935. Pas de courses poursuites, de combats spectaculaires, de voyages exotiques : c’est l’histoire racontée à hauteur d’homme. D’abord, l’expérience d’apprenti et la découverte du métier d’ajusteur avec Bertin, qui l’initie aux arcanes de l’usine : les brimades contre les arpètes, la lutte quotidienne contre la hiérarchie, le coup de rouge à 10 heures, l’amour du travail bien fait, la fierté de l’ouvrier… Hors de l’usine, Jacques participe aux activités des Auberges de jeunesse, s’adonne à la lecture, dévoré par le désir d’apprendre et de se cultiver. Il a l’âge des premiers émois, des flirts maladroits et de l’éducation sexuelle payée par le paternel dans un lupanar du quartier. Le lecteur redécouvre également le quotidien de l’occupation, les copains arrêtés, les petits trafics dans l’usine, les bombardements, la solidarité quotidienne et les dénonciations…Sans fioritures, le dessin accompagne le parcours de Jacques avec justesse, à travers un jeu de couleurs discret, alternant une couleur dominante, comme le bleu pour l’usine et le monde du travail par exemple. La simplicité du trait comme celle du récit s’allient parfaitement pour rendre vivantes ces pages de la vie ouvrière. L’on redécouvre également à travers ces planches un pan de l’histoire industrielle française, celle des chantiers navals dont les derniers représentants, comme les chantiers de Saint-Nazaire, sont aujourd’hui menacés. Après les mythifications de tous ordres de la figure ouvrière, ce récit s’inscrit dans un ensemble d’œuvres de fiction qui permettent de redécouvrir ce quotidien dans toute sa complexité.Henri Clément
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