C’est le nouveau blockbuster à grand succès des studios Marvel : Black Panther, en quelques jours, a déjà réalisé plusieurs centaines de millions de dollars de recettes et le cinquième plus gros démarrage de tous les temps. Des résultats phénoménaux pour le 18e film de la série Marvel, qui montrent à quel point le film attire les foules, au point d’être un réel phénomène de société aux USA.
Black Panther n’est pas seulement un film qui réussit sa sortie ; c’est avant tout un phénomène de société : depuis de nombreuses semaines, le film était attendu par des millions d’étatunienEs, au point qu’il était une des tendances les plus importantes de Twitter en 2017 avec plus de 5 millions de tweets avant même sa sortie ! Si le film suscite autant d’enthousiasme, c’est parce que c’est sûrement le premier grand film de super-héros où le personnage principal est une figure afro-américaine qui n’est pas tournée en ridicule. En effet, les premiers « super-héros » noirs, que ce soit Blankman (1994), The Meteor Man (1993) ou encore Hancock (2008) avaient fait vivre les préjugés de l’Amérique blanche, présentants les afro-américains comme alcooliques ou inadaptés socialement. S’il a fallu attendre les années 2000 pour que des afro-américains incarnent des super-héros qui puissent être des modèles (Tornade dans X-Men ; War Machine dans Iron-Man ; Heimdall dans Thor), Black Panther est le premier film où l’identité africaine (le personnage est roi du pays imaginaire du Wakanda, petit pays d’Afrique australe) est constituante de la force évocatrice du héro.
Un phénomène social
Le film présente un petit pays, le Wakanda, installé sur une mine du métal le plus précieux du monde, le vibranium, aux propriétés multiples, que les WakandaisEs ont su exploiter pour devenir la première puissance mondiale. Cependant, ce petit pays ayant le fait le choix de vivre en autarcie, se cachant des puissances impérialistes qui ont conquis tout le continent africain, personne ne connaît vraiment le Wakanda, qui cache ses richesses des yeux de tous. T’Challa (Chadwick Boseman), nouveau roi du pays, doté de super-pouvoirs, affronte dans ce contexte deux adversaires : Ulysses Klaue (Andy Serkis), un terroriste international qui incarne le colon venu piller les terres wakandaises, puis Killmonger (Michael B. Jordan), qui veut mettre les WakandaisEs en guerre contre les blancs qui oppriment le reste de la population noire de la planète.
Pourquoi ce film constitue-t-il un phénomène social dans l’Amérique de Trump ? Déjà en 1966, avec le comic écrit par Jack Kirby et Stan Lee, l’apparition d’un super-héros noir, nommé « Black Panther », était déjà en soi un acte politique important en plein mouvement des droits civiques aux États-Unis. Quelques mois avant la création du Black Panthers Party (dont l’homonymie est totalement fortuite), l’émergence d’un héros noir, antithèse de l’image promulguée par l’idéologie dominante étatsunienne de l’Afro-américain ivrogne et paresseux, était déjà en soi un acte de résistance. 51 ans après son invention dans les bulles de Marvel Comics, son arrivée sur le grand écran (il était déjà présent dans Avengers Civil War) est tout autant un acte de résistance. De fait, en deux ans, Trump s’est rapidement imposé comme la figure d’un président raciste et xénophobe, traitant des pays africains de « pays de merde », et expliquant qu’il y avait des responsabilités « des deux côtés » dans les violences de Charlottesville (où une militante antiraciste avait été assassiné par un suprémaciste blanc). Rien d’étonnant donc à ce que le film suscite beaucoup d’enthousiasme, notamment dans la communauté afro-américaine.
Afrofuturisme
Interrogée par le New York Times, Deirdre Hollamn, fondatrice du Black Comic Book Festival d’Harlem, explique que « le Wakanda est une sorte d’utopie noire dans notre combat contre le contrôle colonialiste et impérialiste des terres et peuples noirs par les blancs. Pour l’imaginaire afro-américain, cela veut tout dire. L’idée qu’il y avait une communauté, une nation qui a résisté à la colonisation, l’infiltration [culturelle] et à l’assujettissement est quelque chose de très fort. » On ne peut pas comprendre la réussite de Black Panther sans comprendre le phénomène de l’afrofuturisme, un mouvement artistique qui cherche à interroger la place des population racisées dans le monde, à travers notamment la création de mondes fantasmés où les oppressions racistes et coloniales auraient disparues, au moins partiellement. Imaginer des bulles, un royaume où l’impérialisme occidental n’a jamais existé : voilà en quoi Black Panther s’inscrit dans ce mouvement qui « combine science-fiction, techno-culture, réalisme magique et cosmologies non européennes, dans le but d’interroger le passé des peuples dits de couleur et leur condition dans le présent »1. Cependant, une des limites politiques de l’afrofuturisme est aussi d’imaginer l’émancipé sans l’émancipation : le dernier Marvel propose ainsi un héros noir revendiquant son héritage culturel, sans pour autant être force de proposition politique pour les millions d’Afro-américains qui vivent tous les jours sous la crainte d’être l’énième victime des policiers US ou d’aller peupler les prisons d’État. De plus, même si les spectateurs de Black Panther voient le film comme un modèle d’émancipation, de nombreux stéréotypes tendent à noircir le tableau d’un long-métrage qui semble pourtant faire consensus. Que penser d’une utopie qui est une monarchie héréditaire où la lignée peut être renversée par un combat à mort entre les champions de différentes tribus du royaume ? Ici, Hollywood s’éloigne finalement peu de ce qu’est la réalité de l’Afrique contemporaine, dominée par des dictateurs dont la chute est l’occasion de nouvelles luttes (souvent sanglantes) pour le pouvoir entre les factions de la bourgeoisie locale.
Mais malgré cela, le film n’en est pas moins le réceptacle d’un certain nombre d’aspirations de la communauté afro-américaine. L’aspiration non seulement à une autonomie politique vis-à-vis des impérialistes de tous les pays, mais aussi à une société où revendiquer une culture éloignée des canons iconographiques, musicaux ou vestimentaires est possible. C’est en cela que Black Panther, avec sa musique et ses costumes, est appréhendé par des millions de spectateurs comme le film anti-Trump, anti-KKK, avec l’élévation de T’Challa en un Bruce Wayne afro-américain. C’est pour cela aussi qu’il dérange : dès sa sortie en salles, une campagne a été menée par des groupes suprémacistes blancs sur les réseaux sociaux pour décrédibiliser le film. Certains tweets ont ainsi tenté de faire croire que des Blancs auraient été agressés dans des cinémas par des Afro-américains, avant que des internautes démontrent que les photos des personnes ensanglantées étaient plus anciennes. Des tentatives pour décrédibiliser le film qui montrent à quel point le film crispe les milieux les plus réactionnaires, à l’image des campagnes racistes qui avaient eu lieu contre Obama.
« Une vision stéréotypée de l’Afrique » ?
Cependant, malgré une réception très positive dans la communauté afro-américaine, toutes les critiques ne sont pas unanimes. Au cœur de celles-ci, souvent justifiées, la façon dont est représentée l’Afrique : « Coiffures vaguement zouloues, tenues vaguement masaïs, peintures corporelles vaguement oromos, scarifications rituelles, plastrons en métal et colliers de perles, motifs chatoyants et bigarrés garantissent une absence totale d’unité et, plus grave, colportent une vision stéréotypée, pour ne pas dire ridicule, de l’Afrique » dénonce une recension de Jeune Afrique.
Black Panther est donc avant tout une surprise dans le paysage des films de super-héros, paysage qui commençait à s’assombrir avec les derniers Spiderman Homecoming et Captain America Civil War où la fadeur des scénarios commençait à faire du système Marvel un système dépassé. Si l’engouement populaire autour du film est aussi une réaction aux attaques de Trump aux États-Unis, il n’en reste pas moins une œuvre importante, ne serait-ce que par ce qu’il cherche à représenter (un héros noir), malgré des limites qui rappellent - cruellement pourrait-on dire - que lorsque Hollywood essaie de représenter l’Afrique, c’est plus souvent les références culturelles cartes postales coloniales qui sont reprises, même lorsque celles-ci sont fièrement revendiquées.
John Difool
Lire également : Black Panther : le super-héros au secours des Démocrates
- 1. Achille Mbembe, « Afrofuturisme et devenir-nègre du monde », Politique africaine, 2014/4