Delcourt, 2024, 192 pages, 23,75 euros.
On connait la rigueur et la pugnacité d’Inès Léraud, qui dans une œuvre multiforme — radio, BD, cinéma — a dépeint les liens entre la pollution des algues vertes et l’agrobusiness. Elle revient ici, avec son complice Pierre Van Hove, pour documenter un épisode méconnu de l’histoire de nos campagnes : le remembrement.
On prend les mêmes...
Là encore, l’histoire commence immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, avec le plan Marshall. Il faut reconstruire l’Europe, avec des capitaux étatsuniens et pour le plus grand profit des capitalistes américains (le deal, c’est les dollars contre le marché européen). L’agriculture ne doit pas faire exception. Il faut rationaliser, il faut rentabiliser, c’est l’avènement des « exploitations agricoles ». Le modèle, c’est celui des grandes fermes américaines. En France, le bon élève, c’est la Beauce. Il va falloir s’aligner, redresser le territoire biscornu des bocages qui empêche de profiter en ligne droite ! C’est qu’il faut augmenter le rendement à l’hectare, ouvrir le marché aux tracteurs ! Finis les chevaux — ils seront abattus et mangés ! —, finis les talus, défoncés, rasés au bulldozer, finis les méandres des multiples petits ruisseaux. Pour y parvenir, la classe politique de la 4e puis de la 5e République déploient des trésors de conviction « progressiste » — tu es contre, c’est de l’obscurantisme —, de professions de foi productivistes. On y retrouve de Gaulle et ses amis, des socialistes, des élus locaux sincèrement convaincus et des carriéristes sans vergogne.
Résistances !
Comme souvent, cette histoire est celle de l’acceptation (l’enjeu) de mesures venues d’en haut, mal expliquées — quand elles le sont — présentées aux paysans bretons ou d’ailleurs, comme un progrès incontournable, qui sont mises en place par l’État pour leur bien. Et gare à celleux qui résistent ! Et c’est là un des aspects les plus intéressants de l’ouvrage, Inès Léraud et Pierre Van Hove, s’appuyant sur le travail de Léandre Mandard — le régional de l’étape, doctorant en histoire contemporaine — rendent justice à ces femmes et ces hommes qui se sont battuEs ! L’histoire de la résistance au remembrement est encore plus mal connue que celle du remembrement lui-même. C’est que la politique des pouvoirs publics a été de monter les unEs contre les autres, les habitantEs des campagnes, envoyant les flics contre les opposantEs, allant jusqu’à interner les plus récalcitrants dans des établissements psychiatriques peu regardants !
Ironie de l’histoire : à l’occasion des inondations qui affectent la Bretagne en janvier 2025, si nombre de commentaires pointent l’artificialisation des sols, la destruction des talus, le redressement et la canalisation des cours d’eau, ajoutant l’urbanisation débridée, la plupart rechignent à nommer le remembrement au titre des causes évidentes et les plus dévastatrices...
Vincent Gibelin