Edwy Plenel, Don Quichotte, 2016, 14 euros.
Cet essai efficace et courageux par le directeur de Mediapart est une salutaire démolition du sinistre parcours de nos gouvernants « hollandais ».
Ses flèches les plus acérées, il les réserve à cette scélératesse intitulée « loi de déchéance de la nationalité », par laquelle, constate-t-il, « Hollande et Vals ont acté leur propre déchéance » et leur ultime rupture avec la gauche. Rappelant les décrets de Vichy en juillet 1940, cette loi, véritable cheval de Troie du racisme d’état, accumule l’infamie, l’imposture et l’irresponsabilité, en fabricant « un poison vénéneux qui détruit de l’intérieur notre culture démocratique ». Ce n’est pas un hasard si le FN, héritier de Vichy, s’est bruyamment félicité de cette victoire...
Face à ce scandale, l’indifférence et la résignation ne sont pas admissibles : « le plus sûr allié des bruits de bottes des autoritaires et des identitaires, c’est le silence des pantoufles ». On peut trouver beaucoup de ressemblances entre les noces de la peur et de la haine célébrées par le duo Hollande-Valls et la politique du « socialiste » Guy Mollet à l’époque de la guerre coloniale en Algérie (1955-56) : une même mentalité coloniale, un même mépris pour la démocratie, un même penchant pour des « États d’exception » qui rabattent la politique sur la police.
Le refus d’un ordre injuste
Nous vivons de plus en plus dans une démocratie de basse intensité, où l’on permet au peuple de voter tous les cinq ans, tandis que ceux qui détiennent la puissance économique et financière, eux, « votent tous les jours ». La sacralisation par le gouvernement du « secret des affaires » montre la consanguinité de cet État de bureau et de police avec le monde de la finance, avide de spéculation. L’auteur aurait pu citer aussi comme exemple de cette intimité l’affaire Cahuzac, révélée au public par Mediapart...
Il en va de même pour l’Union européenne, qui, plus soucieuse de la santé des banques que de celle des peuples, utilise comme l’on a vu en Grèce l’arme de la dette pour soumettre les peuples à l’austérité néolibérale. Il s’agit toutefois d’une logique mondiale : comme le montre un récent rapport de l’Oxfam, 80 milliardaires possèdent autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité.
Il faut s’inspirer, propose Plenel, du poème/chanson de Boris Vian, le Déserteur : le refus, quoi qu’il en coûte, d’un ordre injuste. « Dire non, ce premier pas de la liberté ». Certes, la dénonciation est nécessaire mais insuffisante : face aux tenants de la guerre des identités, des origines, des religions, il est urgent de retrouver notre « commun », les « causes communes » capables d’unifier les 99 % contre l’oligarchie des 1 %. Il est temps de dire « nous », « le nous de ceux qui refusent d’être dépossédés et dépouillés par un capitalisme avide, dérégulé et prévaricateur, qui ne bénéficie qu’à une infime minorité de privilégiés, coupés du monde et des autres ».
Dans cette bataille de l’espoir, un rôle central est dévolu à la jeunesse : « Qui, sinon la jeunesse, pour nous réveiller sur l’exigence d’égalité, le refus des injustices, la lutte contre les discriminations, le devoir de solidarité, le souci de la nature ? » Cette conclusion semble trop optimiste, mais ne se trouve-t-elle pas confirmée par la formidable mobilisation des jeunes lycéenEs, étudiantEs et travailleurEs contre la misérable loi travail ?
Michael Löwy