Publié le Mercredi 31 mars 2021 à 09h52.

Essai : 19 femmes : les Syriennes racontent, de Samar Yazbek

Pocket, 400 pages, 7,60 euros.

Dix-neuf témoignages de femmes, 19 explosions d’espoir et de désespoir de leur engagement dans le processus révolutionnaire syrien. On a bien sûr entendu et lu beaucoup de récits de ce qui est le plus terrible des « Printemps arabes ». Le choix de Samar Yazbek est de porter une parole exclusivement féminine. Ce livre est le produit d’entretiens avec 55 Syriennes. Parce que ces expériences pouvaient se répéter, elle en a retenu 19.

« Ces femmes se sont rebellées sur plusieurs fronts »

À travers la parole directe de chacune, on revit leur révolution. Ces Syriennes vivaient dans les différentes villes du pays et dans les différentes communautés. Elles étaient issues de milieux relativement aisés, la plupart étudiantes ou diplômées et conscientes que ce n’est pas la situation de la majorité des femmes du pays. Agées d’une vingtaine d’années à 70 ans au début de la révolution, seules deux d’entre elles avaient eu un engagement politique (pro-palestinien et marxiste pour l’une et au Parti d’-Action communiste pour l’autre), et il est frappant de découvrir comment, alors qu’elles ne se connaissent pas, leurs voix forment une voix de la révolution syrienne. Une voix féminine.

L’une d’entre elles le formule : « Ces femmes se sont rebellées sur plusieurs fronts : contre le régime, contre la société, contre la religion et les traditions, contre Daech et les groupes islamistes de l’opposition ». En effet, à travers leurs parcours, c’est tout le vernis « moderne » qui tendait à rendre relativement supportable aux classes moyennes la dictature des Assad père et fils qui vole en éclats. Cette dictature reposait et recouvrait une division d’une myriade de communautés confessionnelles qui partageaient un patriarcat écrasant. En s’engageant dans la révolution, ces femmes ont commencé à saper de fait les fondements de ce patriarcat et elles en ont subi la réaction dévastatrice.

« Ils ont perdu leur humanité, alors que moi, j’ai gagné la mienne »

Elles décrivent ainsi comment, après avoir osé occuper l’espace public, elles ont été rejetées hors des manifestations (pour les « préserver » bien sûr). Elles racontent les trésors d’imagination et de ténacité qu’elles ont découverts en elles-mêmes pour construire des réseaux de circulation de l’information, d’éducation, de solidarité pour survivre au quotidien sous les bombes dans les zones « libérées » ou avec la peur des terribles formes de répression dans les zones contrôlées par le pouvoir. Le plus souvent en passant d’une zone à l’autre au gré des soubresauts militaires et des tractations politiques — celles des forces se combattant sur le terrain mais aussi les puissances impérialistes qui jouaient leur propre partition à travers elles.

Il est impossible de rendre compte de toute la densité de ces histoires poignantes, de ces vies brisées de femmes qui ont dû fuir. Mais ce qui est particulièrement frappant, c’est qu’à travers le récit du carnage, ce qui émerge de la voix de ces femmes, c’est une fierté exprimée par l’une : « Ils ont perdu leur humanité, alors que moi, j’ai gagné la mienne ». Et c’est bien ce qui entretient l’espoir que le Printemps sera suivi d’autres saisons.