Élise Thiébaut s’attaque, sur un ton très drôle, à un sujet tabou rarement traité, les règles, que subissent chaque mois 50 % de l’humanité. Dans ce livre qui contient une multitude d’informations rigoureuses, on y apprend beaucoup, comme par exemple que les symptômes de l’endométriose sont observés depuis l’Égypte ancienne ou encore que les règles, avant d’être un tabou, ont été un signe de force que les hommes ont cherché à reproduire. Mais ce livre incontournable fait surtout réfléchir à la place du corps féminin dans les représentations sociales.
Ainsi, il montre que les « ragnagnas », les « ourses » et autres « débarquement des Anglais » sont un phénomène on ne peut plus naturel que les sociétés patriarcales ont tout fait pour rendre « honteux », donc invisible. Élise Thiébaut parle même d’« inégalité menstruelle », « parce que les règles font l’objet d’un tabou, les femmes subissent une forme d’oppression qu’aucun homme ne connaîtra jamais ». En effet, les règles ont été décrites comme « nocives » par Hippocrate, « malfaisantes » par Pline l’Ancien qui, selon lui, rendaient stériles toutes les terres, tuaient les abeilles et même faisaient fondre le bitume. Plus récemment, selon l’ethnologue Alain Testart, elles seraient à l’origine de la division du travail.
Ainsi, « l’interdiction symbolique de mélanger les sangs (sang des règles et sang jaillissant) » aurait permis aux hommes de s’attribuer l’extérieur, le pouvoir (l’épée) et le travail sur les matières dures (pierre, bois), cantonnant les femmes à la réclusion (pendant leurs cycles) et aux métiers sur les matières tendres (filage, tissage). Une « stigmatisation » encore très prégnante aujourd’hui. L’une de ses manifestations est, par exemple, le désintérêt des pouvoirs publics pour le sujet, au détriment de la santé des femmes. Ainsi les protections périodiques assujetties jusqu’en 2015 à une TVA de produits de luxe (alors qu’une femme utilise « entre 12 000 et 14 000 tampons, serviettes et protège-slips en quarante ans de vie mensuelle ») ne répondent toujours à aucune norme sanitaire stricte, « contrairement au shampoing, crème hydratante et rouge à lèvres ». Pourtant, l’analyse de leur composition a révélé pour certaines des taux de pesticides et de dioxine inquiétants.
Le temps est peut-être venu, affirme Élise Thiébaut, « de reprendre enfin le pouvoir sur nos vies et de réhabiliter enfin le sang menstruel en créant nos propres règles ». Nous ne pouvons qu’être d’accord avec elle.
Joséphine Simplon
Ceci est mon sang. Petite histoire des règles, de celles qui les ont et des ceux qui les font, Élise Thiébaut, La Découverte, 2017, 16 euros