Entretien. Docteur en sociologie, ancien représentant de la FSU au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, Jean-Marie Canu est le co-auteur – avec Louis-Marie Barnier et Francis Vergne – de la Fabrique de l’employabilité. Quelle alternative à la formation professionnelle néolibérale ? (1), un passionnant petit ouvrage sur la formation professionnelle qui décrypte comment le patronat est parvenu à l’organiser pour répondre à l’impératif néolibéral.
Qu’appelez-vous « employabilité » ?L’employabilité n’est pas un concept scientifique, c’est le point d’arrivée d’une construction idéologique entamée par le néolibéralisme à la fin du siècle dernier. Pour les tenants de cette nouvelle orthodoxie, c’est à chaque individu d’entretenir sa propre employabilité, à chacun d’être entrepreneur de son parcours professionnel sur un marché du travail définitivement instable. L’employabilité est donc cet attribut personnel que le nouveau « sujet entrepreneurial » doit s’efforcer d’auto-entretenir par le recours à la formation professionnelle.
Quelles sont les relations de l’employabilité avec la « logique compétence » du Medef ?C’est lors de son congrès de Deauville en 1998 que le Medef met pour la première fois en avant la « logique compétence ». Pour lui, il faut en finir avec la démarche de savoirs acquis par les individus au cours d’années de formation sanctionnés par un diplôme validant une qualification professionnelle reconnue dans les conventions collectives. À ce cadre collectif qui garantissait un emploi – et une rémunération – correspondant au niveau de qualification atteint, le patronat est parvenu à imposer un système dans lequel ne comptent que les « compétences » dont celui-ci a besoin et qu’il est seul à pouvoir énoncer et évaluer. C’est ce système de marché dérégulé qui s’est imposé aujourd’hui.
Vous écrivez qu’en réalité le système de formation professionnelle n’atteint pas la cible qu’il est censé viser, à savoir les personnes peu ou pas qualifiées...Par delà les larmes de crocodiles versés du côté patronal et les illusions véhiculées du côté de certains syndicats de salariés, nous considérons que cet « échec » (de la formation professionnelle) n’en est pas un. Car si il y a bien cet impératif de se former (pour assurer encore une fois sa propre employabilité), la réalité du marché du travail, c’est-à-dire le chômage structurel, fait que le patronat dispose d’un excédent permanent de demandeurs d’emploi prêts à occuper des emplois à n’importe quelles conditions. Le cas de l’industrie automobile, que nous avons analysé avec des militants CGT de Renault, montre que les employeurs ont besoin, pour les tâches de production simple, d’une main-d’œuvre polyvalente, interchangeable, mais pas réellement plus qualifiée. Donc l’impératif de la formation n’est qu’un leurre qui sert à rendre le salarié responsable de son incapacité à accéder à l’emploi et à disculper le capitalisme du chômage de masse qu’il produit.
Propos recueillis par Patrick Le Moal1 — éditions Syllepse, 2014, 10 euros.