Entretien. Depuis plus de 40 ans, les personnages de Cosey (Bernard Cosandey pour l’état civil suisse), par l’intermédiaire de la série Jonathan ou de romans graphiques, sillonnent le monde à la découverte d’eux-mêmes. Élu Grand Prix du Festival en 2017, il a présidé l’édition 2018. Le solitaire des montagnes et des grands espaces a dû s’immerger dans la foule pendant plusieurs jours, présider nombre de réunions et rencontres, baptiser un bus public dédié à son univers graphique et accorder de nombreuses interviews. Que l’Anticapitaliste soit logé à la même enseigne que les télés ou radios est un geste bien conforme à l’humanisme de Cosey.
Bernard, peux-tu nous décrire l’affiche que tu as réalisée en tant que président de cette édition ?
J’ai réalisé une sorte de mandala où l’on peut retrouver des personnages importants de mes albums comme Kate, Atsuko ou Georgia Gould (du récent Calypso) plus un clin d’œil à Mickey car j’ai pu réaliser un rêve d’enfant en réalisant la BD Une mystérieuse mélodie (Glénat) où je raconte la rencontre entre Mickey et Minnie.
À propos de mandala, tu es l’auteur de BD qui a le plus mis en scène le Tibet occupé par la Chine. Dans les années 1970, nous étions le seul courant politique à gauche à dénoncer cette occupation.
Oui, vous êtes très politisés en France mais mon approche est différente. Sans faire de discours dans mes BD comme dans ma vie, je montre, je décris la réalité et c’est au lecteur de tirer lui-même les conclusions.
La grande tibétologue Claude B. Levenson, à qui nous avons rendu hommage dans nos colonnes lors de son décès en décembre 2010, a signé plusieurs préfaces à tes albums où elle condamne sévèrement le colonialisme chinois.
Oui et il y a de quoi. La Chine a colonisé et continue à coloniser le Tibet. L’album où je décris le mieux le Tibet occupé est sans doute Celui qui mène les fleuves à la mer (éditions du Lombard) mais, même dans cet album, il n’y a ni critique politique directe ou slogan mais des contextes, des situations et des images.
Oui, c’est la même chose avec « Saigon-Hanoï » (Aire libre) où tu évoques la guerre à travers le voyage du vétéran Homer au Vietnam...
Pour cet album, je me suis imaginé américain dans la peau d’un vétéran qui a perdu son meilleur ami au Vietnam et je suggère tout ce qu’il peut ressentir.
Sans pratiquement un mot ou un dialogue…
Oui j’ai dû me battre pour faire accepter le concept à l’éditeur qui n’y croyait pas mais, après le succès du Voyage en Italie (Aire Libre), je pouvais davantage oser.
Un peu de technique maintenant. Toujours pas de création par ordinateur même pour les lettrages ?
J’ai suivi un stage de conception par ordinateur pour pouvoir dessiner sur tablette mais après quelques essais non concluants, je suis retourné bien vite à mes crayons et pinceaux. Pour le lettrage, c’est la même chose, la lettre a un vrai pouvoir décoratif et, dans une autre vie, sans doute, j’aurais été calligraphe…
Une majorité de tes albums se déroulent en Asie. Angoulême consacre une partie importante des expositions aux mangakas. Qu’en penses-tu ?
Le premier manga a sans doute été une estampe japonaise, et la BD doit beaucoup à l’Asie. Le côté international de cette édition du festival me comble. Tout à l’heure je rencontre des auteurs japonais…
Calypso (Futuropolis), ton premier roman graphique en noir et blanc a été considéré de façon unanime comme une réussite. Penses-tu renouveler l’expérience ?
Merci pour l’appréciation mais c’était vraiment un « one shot » qui m’a permis de montrer autrement ma région [Alpes valaisannes].
Les fans de Jonathan ont-ils une chance de le revoir dans un prochain album et quels sont tes projets ?
Jonathan ne devrait pas revenir. L’album Celle qui fut clôt le cycle avec l’évocation de Saïcha et le retour mais qui sait ? En tout cas, j’ai deux projets sur les rails sans Jonathan…
Propos recueillis par Sylvain Chardon