Le 17 avril dernier s’éteignait ce qu’il convient de nommer l’un des « monuments » de la littérature latino-américaine contemporaine : Gabriel García Márquez, surnommé affectueusement « Gabo » par ses centaines de milliers de lecteurEs dans le monde.
L’écrivain vivait depuis plus de 35 ans au Mexique, pays qui était pour lui plus qu’une terre d’asile, comme une deuxième patrie après avoir dû fuir sa Colombie natale du fait du conflit armé et des menaces qui pesaient à son encontre.
Du reportage au « réalisme magique »L’auteur de Chronique d’une mort annoncée était détesté par l’oligarchie et les paramilitaires pour ses positions politiques progressistes et son soutien indéfectible à la Révolution cubaine. Il a pourtant été qualifié de « plus grand Colombien de tous les temps » par le président conservateur Juan Manuel Santos au moment de lui rendre un hommage national, en même temps que se déroulait des funérailles dignes d’un chef d’État au palais des Beaux-Arts de Mexico. Même s’il n’a pu la conter pleinement dans le premier tome de ses mémoires Vivre pour la raconter, paru en 2002 et resté sans suite, la vie de Gabo aura suivi nombre des aléas du siècle passé et les grands conflits de l’Amérique latine. Écrivain hispanophone le plus lu et traduit dans le monde, transformé en icône y compris par ceux qu’il a toujours combattus, il se plaisait à répéter que sa vocation première était celle de journaliste, « le meilleur métier du monde ». Avant de passer à la littérature, il s’était fait un nom avec ses chroniques pour plusieurs quotidiens colombiens. Né sur la côte caribéenne dans une famille de la petite bourgeoisie, et après des études de droit qu’il jugeait peu passionnantes, ils se jette à corps perdu, dès 21 ans, dans le travail de reporter, un engagement où se forge sa plume. Son style est souvent plein d’humour et de double sens, jouant y compris avec les faits pour mieux approcher la réalité de son continent et sa complexité. Ses livres témoignent néanmoins de rigueur, du goût du témoignage (lire par exemple Journal d’un enlèvement – 1997) et de l’histoire, le tout immergé au sein d’un « réalisme magique », allégorique, volontiers épique, non exempt de contradictions.
Un écrivain « subversif »...Comme pour toute une génération, la Révolution cubaine de 1959 sera pour lui l’heure des brasiers : il participe activement à sa défense en cofondant l’agence de presse Prensa Latina. De là aussi son amitié avec Fidel Castro (« une amitié intellectuelle » dira-t-il), et son refus de critiquer les errements de la Révolution au nom d’une solidarité anti-impérialiste qu’il a toujours revendiquée (tout en cherchant en coulisse la libération de prisonniers politiques). Il avait d’ailleurs été étiqueté de « subversif » et interdit de territoire aux États-Unis jusqu’à l’élection de Bill Clinton, autre grand ami de l’écrivain, tout comme l’était François Mitterrand. Preuve s’il en est qu’il était loin d´être un « communiste militant » ainsi que certains biographes ont cherché à le peindre…Le début de sa renommée date de 1967 avec la publication de Cent ans de solitude et atteint un climax en 1982 lorsqu’il reçoit le prix Nobel de littérature. Très attentif à l’actualité politique, à « la solitude du pouvoir », aux luttes des peuples de la « patria grande » comme aux petites misères du quotidien, il laisse une œuvre qui reste essentielle pour comprendre, au moins en partie, l’Amérique latine actuelle.
Franck Gaudichaud