Éditions Vendémiaire, 264 pages, 22 euros.
«Rien n’est jamais acquis en matière de lutte anti-infectieuse. La préservation d’une culture épidémiologique demeure essentielle […] face à l’émergence inévitable de nouveaux pathogènes » : c’est la conclusion prophétique de Freddy Vinet dans son analyse de la grande grippe, qui décrit une histoire oubliée. Pas de mémoire collective, peu de recherches, pas de traces dans le paysage, alors que les nouvelles estimations des morts (entre 50 et 100 millions) dépassent celles du conflit armé. Aux États-Unis, la grippe dite espagnole fit plus de victimes que la Première Guerre mondiale. Mais l’évènement reste largement ignoré dans la littérature et au cinéma.
Une diffusion fulgurante
Ce livre nous rappelle les caractéristiques de cette épidémie sous-estimée, voire niée dès son apparition, qui va connaître trois phases, d’avril 1918 à mai 1919. La deuxième vague, d’août à novembre 1918, est la plus virulente. Les symptômes sont connus, mais son origine reste mystérieuse, car on ne connaît pas l’agent pathogène à l’origine de la grippe. Rappelons que le virus de la grippe ne fut isolé qu’en 1933 et que le premier vaccin sera développé en 1944. En 1918, on ne disposait en outre pas encore d’outils pour observer les virus, bien plus petits que les bactéries.
Si l’origine est inconnue, la grippe est détectée aux États-Unis en mars 1918 par des médecins militaires. Sa diffusion dans le monde est fulgurante, provoquée par les déplacements de troupes engagées dans le conflit mondial. La rapidité des transports est inédite, l’Atlantique est traversé en une semaine.
Des conditions sociales aggravantes
La morbidité touche essentiellement des jeunes adultes entre 20 et 50 ans et la période d’incubation est très courte. L’épidémie est d’une contagiosité extrême, elle s’inscrit aussi dans un contexte de guerre, qui a déjà connu beaucoup d’autres souffrances. Mais l’armée a aussi concentré le matériel et le personnel médical, les moyens de transport, laissant les populations civiles et surtout rurales pratiquement sans moyens médicaux.
Les conditions sociales (pauvreté, dureté du travail, environnement) sont alors des conditions aggravantes, tout comme la fragilité des voies respiratoires des soldats gazés. Aux États-Unis, une enquête montre un taux de mortalité chez les blancs les plus précaires deux fois supérieur à celui des plus riches. Autre exemple, l’augmentation de la mortalité dans les beaux quartiers de l’ouest parisien correspond à celui du personnel domestique.
La méfiance actuelle envers les vaccins est certainement à mettre aussi au compte de l’oubli des maladies infectieuses.
Paru dans le n° 367 de solidaritéS (Suisse).