Publié le Dimanche 29 juin 2014 à 08h00.

La grande guerre. Carnet du centenaire

André Loez et Nicolas Offenstadt Albin Michel, 2013, 19,90 euros. Illustrations, dessins rendent constamment attrayante une histoire dont on découvre les milles facettes. L’intérêt de l’ouvrage, ce qui le différencie de la grande majorité des productions qui se multiplient en cet anniversaire, c’est la multiplicité des regards portés sur cette boucherie...

Les auteurs exposent une histoire vraiment mondiale qui n’est pas enfermée entre la Somme et la Marne, mais où tous les lieux de guerre sont évoqués. Le récit classique n’occupe que le premier chapitre avant que le Carnet du centenaire explose-expose lieux, objets, acteurs témoins et histoires et mémoires de la Grande guerre. Après les passages obligés par Craonne, nous partons vers la Pologne, la Macédoine, la Turquie, le Cameroun, la Nouvelle-Guinée, l’Inde, la Chine, etc. Les acteurs, hommes et femmes, sont surtout des anonymes pour lesquelles la guerre sera un moment décisif de leur devenir : des tranchées au fascisme pour celui-ci, aux brigades internationales pour un autre, de la tragédie arménienne au communisme pour celle-là. Et tant d’autres confrontéEs à une « expérience » terrifiante mais parfois contradictoire, comme celle de cet officier d’une division d’infanterie noire (dont l’insigne est le bison) fuyant la ségrégation du sud des États-Unis et qui décrira en 1919 l’accueil de la France : « paradis terrestre » et « l’absence complète de caste de couleur dans cette grande république ». Il deviendra un militant de la lutte anti-ségrégationniste.

« Mondialité » de la guerreAu rayon des « objets » les auteurs nous montrent une guerre marquée aussi par les innovations au service de la boucherie : gaz et masques à gaz, shrapnel (obus à balles), périscopes, d’un côté, et médailles, insignes, décorations de l’autre qui serviront à des « mémorisations » patriotiques. Le développement de commémorations censées (re)souder les nations ne résistera pas aux fractures du siècle : en Turquie, avec le nationalisme kémaliste confronté au génocide arménien ; en Afrique du Sud, où mémoires anglaises, boers et noires se confrontent ; en Russie post soviétique, où la glorification de la révolution fait place à un retour du nationalisme et du chauvinisme déjà réactivés par la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale et de l’anti-nazisme. De la Belgique au Canada, à l’Europe centrale, fractures « nationales » et religieuses sapent l’unanimisme mémoriel. Mais, les auteurs le soulignent, sous l’ensevelissement mémoriel qui tend à faire oublier les causes profondes liées au capitalisme, à l’impérialisme, au militarisme, les débats restent ouverts, les travaux restent indispensables autour d’une histoire sociale de la guerre, remettant à leur place les théories sur le consentement, la « brutalisation » des sociétés. Ce Carnet du centenaire montre la profonde « mondialité » de la guerre, sa violence et son inscription dans des réalités sociales qui ne sont pas si lointaines. Et en prime, nous faisons une balade au Jardin d’agronomie tropicale du Bois de Vincennes (Nogent-sur-Marne) qui abrite différents monuments au souvenir des soldats coloniaux morts durant le conflit.

Robert Pelletier