Éditions La Découverte-Delcourt, 2023, 128 pages, 21,90 euros.
C’est l’adaptation graphique de vingt années d’enquête sociologique. Les deux sociologues et leurs collègues (une cinquantaine) ont suivi des couples et adelphies dans des cabinets d’avocats, de notaires et devant des tribunaux, voire au moment de séparations conjugales ou du règlement de successions. A priori la thématique peut nous paraître aride, nous féministes, de surcroît communistes, pas vraiment enclinEs à promouvoir le mariage et la propriété privée !
Dialogue de chats sur les problèmes des humaines
Pourtant la mise en scène graphique fonctionne efficacement, d’abord grâce à un dessin simple et particulièrement expressif, ensuite par le scénario. Celui-ci croise des débats entre chats sensibilisés de divers points de vue aux problèmes des « humaines » avec lesquelles ils vivent, et des discussions entre les trois autrices qui éclairent ces débats entre félins. Jeanne Puchol posant les questions qui sont les nôtres face à l’aridité du droit ou des outils méthodologiques utilisés.
Sur le fond, les résultats de cette enquête au long cours, appuyés sur des exemples particulièrement éclairants, décortiquent la manière dont la transmission de la propriété dans les familles aboutit à reproduire les inégalités entre hommes et femmes. Et cela alors que « depuis 1804, le code civil pose le principe d’un partage successoral équitable, sans distinction de sexe ni de rang de naissance ». La préservation du bien-nommé « patrimoine » et la recherche de la « paix des familles » sont des ressorts qui confortent ces inégalités de genre malgré tous les combats pour imposer le principe d’égalité devant la loi.
Inégalités de genre, inégalités de classe
Pour celles et ceux qui n’ont rien ou si peu à transmettre, l’application de la loi dans les cas de séparation conjugale est un révélateur implacable de la dimension systémique de la domination des femmes. Sans oublier les effets croisés du racisme systémique et même des conceptions des féministes bourgeoises en robe de juge ou d’avocate. C’est la deuxième grande conclusion de l’enquête qui fourmille d’exemples et de mécanismes par lesquels cette domination se reproduit. Ce qui amène les autrices à conclure par ces mots « On ne pourra pas mettre fin aux inégalités entre femmes et hommes sans s’attaquer aux inégalités de classes. On ne pourra pas abolir la société de classes sans renverser l’ordre du genre ».
Un livre à faire circuler sans limite et qui donne envie de se plonger dans l’enquête de Céline Bessière et Sibylle Gollac publiée sous le titre Le genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, toujours disponible aux éditions La Découverte Poche.