Publié le Vendredi 18 juin 2021 à 19h00.

Le roi n’avait pas ri, de Guillaume Meurice

Éditions JC Lattès, 300 pages, 20 euros.

C’est un roman mais c’est aussi un peu une histoire vraie. Car les personnages ont existé et des situations racontées ont eu lieu. On se retrouve fin 15e siècle, début 16e. On se repère car ça commence avec Louis XII et ça finit avec ­François 1er. Ces deux rois sont même des ­personnages importants du roman.

Un bouffon à la cour

Mais le principal, c’est Triboulet. Un pauvre garçon, d’une famille très pauvre, il n’est pas aimé, il est rejeté, par ses parents, par la société. Il n’est pas que pauvre, il est difforme, il boite, il est traité comme un monstre, pas méchant du tout mais voilà, moche et méprisé. Un jour il se fait remarquer autrement que par son physique, parce qu’il va sauver un jeune, lui aussi pas très « normal » sauf qu’il est le « bouffon » du roi.

Du coup, il intègre la cour du roi Louis XII, et peu à peu il se rapproche pour devenir à son tour bouffon. Il est pris pour un attardé mental, d’ailleurs les « fous » des rois c’était des amuseurs, un peu à leur dépens, semble-t-il. Et puis comme ils étaient vus comme inoffensifs, sans conscience, ils avaient une liberté de parole, ils pouvaient dire ce qu’ils voulaient et c’est cette liberté qui amusait. Enfin c’est ce qu’on comprend.

Triboulet amuse par son physique mais pas seulement. Il est vif d’esprit, finalement très intelligent. Il surprend le roi, il inquiète des proches du roi, il s’attire des animosités de certains courtisans. Car Triboulet se moque de ce monde de riches, qui ne pense qu’à ses intérêts, qui vit dans l’opulence alors que le peuple vit dans la misère, qui fait la guerre pour piller, massacrant des populations dont la vie ne vaut rien.

Cette vivacité d’esprit plait au roi, d’abord à Louis XII puis à son successeur, François 1er. Triboulet devient leur confident, jusqu’à se mêler de la vie politique. Le bouffon, le fou va ainsi tenter de faire entendre raison aux rois, contre la misère des peuples, contre les guerres. Triboulet ne se gêne pas, il mord, il vanne, il se moque, il critique, jusqu’au jour où ça ne passe pas. Quand le roi ne rit plus, c’est la sortie de trop.

« Questionner l’ambiguïté des rapports entre le rire et le pouvoir »

Raconter cette histoire de l’intérieur de la tête d’un bouffon, ça permet de dire des choses, de se poser des questions, de lancer des réflexions. Sur le passé mais surtout pour aujourd’hui, sur le pouvoir, sur la critique du pouvoir et sur les amuseurs, les bouffons de notre époque, notamment celles et ceux qui sévissent sur France Inter. Guillaume Meurice en fait partie et il ne se contente pas de sortir des blagues.

À propos de son roman, il explique : « J’ai voulu questionner l’ambiguïté qu’il y avait dans les rapports entre le rire et le pouvoir. Comment ce dernier s’en méfie comme de la peste et donc cherche sans arrêt à le canaliser, le cadrer. La figure du bouffon en est un bon exemple. En tant qu’humoriste aujourd’hui, je me pose ce genre de questions. Est-ce que ma présence et ma fonction ne servent pas finalement à consolider la structure de domination que pourtant je critique de toutes mes forces ? »

Il n’est sans doute pas simple de parler de problèmes du moment en partant d’histoires anciennes. De toute façon, même romancé, c’est plaisant de plonger dans d’autres périodes historiques, ça aide à se poser des questions et donc à réfléchir, ça donne envie aussi d’en savoir plus sur ce rôle de « bouffon ». Guillaume explique aussi : « Pour construire le récit, j’ai pas mal lu de livres sur l’époque, échangé avec des historiens qui m’ont appris qu’il restait peu d’archives sur Triboulet et que donc je pouvais laisser libre cours à mon imagination dans les scènes et les dialogues. Et j’avoue que je me suis bien marré à écrire. Et j’espère que les gens s’amuseront autant en lisant. »

Oui c’est vrai, certes tout est loin d’être léger dans le roman, mais on s’amuse et aussi on apprend, on réfléchit.