Les rouges (1), saga fleuve présentée faussement comme un roman, apparaît comme un récit de la vie de plusieurs générations de militants ouvriers, socialistes puis communistes, parents, grands-parents et arrière-grands-parents de la narratrice. Des résumés des événements politiques contemporains s’enchevêtrent avec des séquences militantes ou intimistes avec plus ou moins de bonheur. Le tout est précédé d’un rappel des luttes populaires depuis les insurrections du Moyen âge.
Les chapitres qui dépeignent les conditions de vie, les espoirs, les luttes, les conceptions de ces militants sonnent souvent juste et ne manquent pas d’intérêt, en dépit d’un procédé littéraire irritant qui consiste à ponctuer régulièrement les passages par des « disait Madeleine à JC » ou vice-versa. JC pour... Jean-Christophe Cambadélis. Le nouveau président du PS, que Pascale Fautrier a connu chez les trotskistes dits « lambertistes », semble en effet faire l’objet d’une attirance-répulsion qui tourne à l’obsession à la fin d’un livre qui commence par des épopées pour sombrer dans le nombrilisme. On passe ainsi allégrement des prolétaires révoltés aux bagarres internes du PCF et aux misérables magouilles, beuveries et coucheries de quelques clans d’étudiants de l’Unef qui se la jouent bolchevik.
Personne n’ignore que, selon la formule de Marx, l’histoire ne se répète que sous forme de farce. Mais, considérer que les héritiers des rouges de la Commune et de Juin 36 se réduiraient aujourd’hui à ces tristes cliques, c’est une farce un peu grossière. Certes la description des mœurs de ces détenteurs auto-proclamés de la vérité bolchevik-léniniste qui finiront rue de Solférino et à Matignon sent le vécu. Bien que facile, elle est franchement drôle. Mais on s’éloigne beaucoup d’un mouvement ouvrier et populaire qui semble la dernière des préoccupations de tous ces Rastignac plongés avec délectation dans leurs calculs politiciens.
Traumatisée par cette expérience et ses amours déçus avec Cambadélis, l’auteure a définitivement rejeté le marxisme, coupable selon elle de conduire à des dictatures. Elle se revendique désormais de la « Vigilance citoyenne » et renvoie les « extrêmes » dos à dos : « Le discours de la prise du pouvoir des classes dominées ou du peuple est en lui-même une imposture, et c’est cette imposture qui est la base des régimes totalitaires » (2). C’est peut-être ce renoncement qui vaut à son pavé une certaine sympathie médiatique, davantage que des « rouges » démoralisés et des communards vaincus sur lesquels les bien pensants versent volontiers quelques larmes dans la mesure où ils ne menacent plus leur quiétude.
Gérard Delteil1 – Les Rouges, Pascale Fautrier, éditions du Seuil, 2014, 23 euros.2 – Sur son blog Mediapart : http://blogs.mediapart.fr/blog/pascale-fautrier/041210/les-intellectuels-et-l-engagement-messianisme-politique-ou-religio