Publié le Vendredi 30 septembre 2022 à 12h00.

Merry men. Souvenirs d’une jeunesse écossaise

Scénario et dessins de Chanouga, d’après R. L. Stevenson. Édition Paquet, 104 pages, 20 euros.

En 1870, le jeune Robert-Louis Stevenson, au lieu d’étudier, prend du bon temps dans les tavernes d’Édimbourg et entretient une liaison avec une « actrice ». Informé, le père décide de mettre son fils à l’épreuve et l’envoie pour l’été sur une île désolée des Hébrides participer au chantier d’un phare. Une expérience maritime qui décidera Stevenson à devenir écrivain et non architecte de phares comme le voulait la tradition familiale.

Merry Men, de bien bizarres « hommes joyeux »

La chaussée des Merry Men est une nouvelle de Stevenson, écrite en 1882. Elle lui aurait été inspirée par son séjour sur l’île Erraid où l’avait envoyé son père en punition. Les « Merry Men » ne sont pas des « hommes joyeux » mais des récifs très dangereux qui provoquèrent le naufrage de multiples navires, d’où la construction d’un phare géant confié au paternel. Les Stevenson était en effet issue d’une grande lignée d’ingénieurs maritimes réputés pour la construction de phares dans les endroits les plus sauvages d’Écosse. En croyant remettre son fils dans le droit chemin en le faisant participer à la grande œuvre familiale, le père ne pouvait se douter que le jeune Stevenson serait séduit par la beauté de l’endroit, la poésie sauvage qui s’en dégageait. Tout ce qu’il fallait pour nourrir son imagination et le conforter dans son désir de devenir écrivain. R. L. Stevenson écrivit néanmoins la notice scientifique1 du phare l’année de son allumage avec un hommage aux travailleurs logés dans une spartiate baraque de tôle entre deux marées.

Une splendide biographie romancée

À partir des éléments authentiques de la biographie de l’écrivain fondues dans les aventures de la nouvelle Merry Men, Chanouga nous livre un récit magique où rêve et réalité se confondent lors d’une sieste sur un ilot qui n’est accessible qu’à marée basse. Le maître du chantier prend alors les traits d’un oncle fantasmé, naufrageur d’un bateau plein d’or. En dépit des efforts de sa fille pour le ramener à la réalité, le vieil homme vit dans la hantise du châtiment de la bête des Merry Men. Stevenson tombe évidemment amoureux de cette fille tandis qu’une nouvelle tempête menace et que de nouveaux naufrageurs se présentent. La mer déchainée et les courants des récifs emporteront tout ce monde vers sa vérité. Stevenson, lui émergera un peu tard de ses rêves et devra rejoindre le chantier à la nage en raison de la marée montante. Avec en tête bien des scénarios de futurs romans.

Une ode à la mer servie par un maître du dessin maritime

Chanouga est né à Marseille. Enfant, il rêvait de devenir Robinson Crusoé puis il s’enthousiasma pour les romans de Jack London, Joseph Conrad, Herman Melville et Robert Stevenson évidemment. Il fait les Beaux-Arts en rêvant de BD mais doit travailler longtemps dans la communication avant de pouvoir placer ses premiers dessins et d’être repéré par les éditions Paquet. De Profundis, son premier roman graphique en 2011, connaîtra un grand succès et le confortera dans son projet de donner vie à la jeunesse de Stevenson. Ce roman graphique illustre à la perfection la personnalité de l’écrivain et les éléments maritimes qui lui ont servi de muse. Le dessin réalisé à la mine de plomb et au crayon graphite puis mis en couleurs directement sans passer par l’encrage « magnifie les ambiances maritimes, les mystères oniriques, le 19e siècle victorien et il fleure subtilement les embruns »2. Chaque page est une œuvre ­graphique en elle-même !

Avec Merry Men, Chanouga a réalisé un superbe hommage à un écrivain majeur du 19e et le plus bel album de cette rentrée 2022.

  • 1. Un dossier final doté d’une belle iconographie explique la complexité de la conception des phares à cette période.
  • 2. Benoît Cassel (Planète BD).