BSN Press, 312 pages, 20 euros.
Dans un livre publié récemment, deux des membres fondatrices du Comité contre le harcèlement sexuel, relatent les premiers combats menés à Genève dans les années 1990 contre le harcèlement sexuel au travail. L’une des deux co-autrices, Anne-Marie Barone, a répondu aux questions de nos camarades de solidaritéS (Suisse).
Qu’est-ce qui a déclenché ton engagement dans la lutte contre le harcèlement sexuel ?
En tant que militante féministe, j’ai participé aux activités du Comité contre le viol qui s’est constitué au début des années 1980, dans le cadre du procès dit « des viols de Pré-Naville », une affaire de viol en bande contre deux femmes qui squattaient un immeuble rue de Pré-Naville. Après le procès aux Assises, en 1983, qui a vu la condamnation des onze accusés, le Comité contre le viol a cessé d’exister vers la fin de l’année 1984. Toutefois, des militantes ont créé en 1985 l’association Viol-Secours, qui existe encore de nos jours.
Dès 1987, un groupe s’est constitué au sein de Viol-Secours pour traiter spécifiquement de la problématique du harcèlement sexuel au travail, et a ouvert une permanence hebdomadaire pour recevoir les travailleuses concernées par ce problème.
En tant qu’avocate, j’ai eu le privilège de reprendre la défense de Maria (nom d’emprunt), une ouvrière de l’horlogerie, licenciée après avoir été harcelée par son chef, dans le premier procès pour harcèlement sexuel devant la juridiction des Prud’hommes. Après avoir échoué en première instance, Maria a obtenu que le harcèlement sexuel qu’elle avait subi soit reconnu par la Chambre d’appel des Prud’hommes. Cette victoire a représenté un pas important pour la suite du combat contre le harcèlement sexuel.
Comment êtes-vous passées du viol au harcèlement sexuel dans l’association Viol-Secours ?
Dès ses débuts, dans sa plateforme, Viol-Secours mettait l’accent non seulement sur la question du viol en tant que tel, mais aussi sur toutes les autres formes de violences sexuelles courantes et souvent banalisées, qui font partie d’une « culture du viol ». Parmi ces phénomènes, le harcèlement sexuel au travail, non reconnu par la loi à l’époque, était dénoncé, en tant qu’instrument de domination des femmes.
Après que Maria soit venue à la permanence sur le harcèlement sexuel et qu’elle ait saisi le Tribunal des Prud’hommes, un comité de soutien s’est constitué, qui s’est transformé en 1989 en Comité contre le harcèlement sexuel (CCHS).
Depuis quand le harcèlement sexuel est-il expressément nommé dans la législation en Suisse ?
Un premier pas a été franchi lors de la révision du Code pénal suisse de 1991, qui a introduit un nouvel article 198, instituant une « contravention contre l’intégrité sexuelle ». Mais c’est surtout, sur le plan du droit civil, l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg), en 1996, qui marque un tournant. Pour la première fois en effet, une définition légale du harcèlement sexuel était introduite dans une loi fédérale (art. 4). Malgré les limites de la loi et de sa mise en œuvre, c’est indéniablement une avancée pour la défense des droits des salariées.
Que conseilles-tu aux travailleuses et aux étudiantes de maintenant ? Comment réagir, comment s’unir contre les pratiques sexistes ? Comment éradiquer ces pratiques ?
Il est évidemment impossible de répondre en quelques mots à ces questions. Dans le chapitre conclusif de notre ouvrage, nous évoquons quelques pistes. Les associations féministes et les syndicats devraient porter une attention particulière aux travailleuses les plus vulnérables, dont le statut est le plus précaire, qui le plus souvent renoncent à dénoncer ce qu’elles subissent, de peur de perdre leur emploi ou, pire encore, de devoir quitter la Suisse si elles n’ont pas de statut légal.
Les procédures internes aux entreprises, administrations et lieux de formation, devraient être améliorées. Enfin, sur le plan légal et judiciaire, il faudrait réfléchir à la manière de faciliter la preuve des faits de harcèlement, souvent très difficile voire impossible à apporter par les travailleuses qui s’adressent à la justice.
Mais plus fondamentalement, tout ce qui peut contribuer à renforcer le pouvoir, individuel et collectif, des femmes dans la société, comme la mobilisation au travers d’un mouvement féministe pour la défense des droits des femmes, est un élément important dans la lutte contre le harcèlement sexuel et les autres formes de violences.
Propos recueillis par Maryelle Budry